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samedi 6 février 2021

Des Filles du Roy à la Conquête, chapitre 3: le manteau de 1670-1710

Bonjour,


Bienvenue à ce troisième chapitre de mon survol de l'évolution de la vêture féminine en Nouvelle-France. Vers 1670,  les derniers contingents de Filles du Roy qui traversent l'Atlantique sont de plus en plus réduits. En 1673, la dernière année de cette politique de peuplement, seulement une soixantaine de femmes ont fait la traversée


Je vous avais laissé au chapitre 2 avec ce tableau de foule représentant à la fois une Robe de Cour en rose à droite et un manteau de dos en noir et jaune: 

Louis XIV devant la grotte de Téthys
Artiste Anonyme
Après 1670
Collection du Château de Versailles

La mode du manteau, aussi appelé mantua en anglais et en espagnol, est la nouvelle mode émerge au cours de la décennie 1670 dans la métropole. À mon avis, cette mode est un premier pas vers le renouvellement fréquent et continu des modes que la France connaît depuis cette époque. Cela a aidé la France de Louis XIV à s'imposer comme modèle en matière de mode vestimentaire.


La jeune fille de l'artiste qui s'occupe de son frère;
 Artiste: Claude Lefebvre,
entre 1670 et 1675,
Collection du Musée National Magnin, Dijon

Cette peinture est la plus réaliste que j'ai trouvée illustrant cette mode particulière. J'adore les détails de rubans qui rappelle la mode des rhingraves masculines du milieu du XVIIe siècle.


Le manteau, conséquence de la reconnaissance des couturières par le pouvoir royal



Petit rappel historique par rapport à la confection de vêtements: Depuis le Moyen-Âge, la corporation des tailleurs d'habits a l'exclusivité de la confection des vêtements en France. L'article 4 de leurs statuts de 1660 confirme cet état de fait: «Il n'appartiendra qu'aux Maitres Marchands Tailleurs d'habit de faire et vendre toutes sortes d'habit et d'accoutrements généralement quelconques à l'usage d'hommes de femmes et d'enfants. » En jouant de ce privilège, la corporation portait plaintes sur plaintes au lieutenant de police général contre les couturières qui commençaient à leur gruger une part de marché, soit la confection de vêtements pour femmes et enfants. Malgré ces attaques répétées à l'encontre de ces marchandes, elles continuèrent à confectionner des vêtements.



C'est dans le contexte de la Guerre de Hollande que la communauté des couturières se verra bientôt accorder le statut de corporation. Louis XIV débute en 1672 cette guerre dans le but d'étendre son territoire vers le nord et de réduire la concurrence des marchandises hollandaises. 

La couturier
Gravure de 1695, édité en 1750
Source: Gallica




L'édit de mars 1673 prescrit la constitution en communauté pour tous les métiers dans les villes et les bourgs. Ainsi pour avoir le droit d'exercer son métier, il faut payer son droit de pratique, nommé brevet, à sa corporation et être reconnu maître par ses pairs. Gare à ceux qui exercent sans brevet... L'édit de mars 1673 avait d'abord pour but d'augmenter le nombre de métiers réglementés et ainsi augmenter les revenus liés à leurs droits de pratique.



Blason des couturières de Paris
Source: Catawiki
Les couturières furent comprises dans la liste des métiers de la ville de Paris à ériger en corporation. Leur nombre est estimé à 3000 dans la ville de Paris seulement dans cet édit de mars de 1673. Cette corporation fut légalement mise sur pied en 1675 avec ses articles, ses droits de pratiques et ses règlements et même son blason d'azur à la paire de ciseaux d'argent, ouverts en sautoir. Ainsi une couturière doit avoir cinq ans de formation (trois ans d'apprentissage suivis de deux années de services auprès d'une maitresse couturière) avant d'avoir le droit de devenir elle-même maitresse couturière. Les couturières ont le droit d'habiller les femmes et les enfants jusqu'à huit ans. La confection de vêtements féminins était un droit de pratique partagé entre couturières et tailleurs, cependant la confection des corps baleinés, et par extension des Grands Habits de dames, demeura la chasse gardée de la corporation des tailleurs, tout comme celle des habits d'hommes et de garçons de plus de huit ans. Près d'un siècle plus tard, en 1782, la corporation des couturières obtint le droit de fabriquer corsets et paniers à baleines, des robes de chambre pour homme ainsi que des dominos pour aller au bal. Informations tirées de l'article ''couturière'' du Dictionnaire historique des arts, métiers et professions exercés dans Paris depuis le treizième siècle par Alfred Franklin de 1906..


Pour faire valoriser sa manchandise on méprise celle d'autrui
Gravure de 1695, édité en 1750
Source: Gallica


La mode du manteau, qui m'intéresse dans cet article, est possiblement une répercussion directe de l'édit de mars 1673, et de l'officialisation du corps de métier des couturières. La légalisation du métier de maitresse couturière n'empêche pas la continuation de la mésentente légendaire avec les tailleurs d'habits. Si bien que dans leurs articles de corporation, il est interdit aux maitresses couturières d'épouser un tailleur d'habit.  Contrairement aux robes des grands habits qui demeurent la chasse-gardée des tailleurs de par leur ajustement de corps à baleines, il est permis pour les couturières de fabriquer la nouvelle mode du manteau.





Madame la duchesse du Maine,
Artiste Henri Bonnart,
fin XVIIe siècle,
Collection du Château de Versailles.


Dame en habit garni d'agréement
Artiste inconnu
Vers 1685-1690
Collection du Rijksmuseum

La mode du manteau fait varier les textures et couleurs entre la jupe, le manteau et son retroussé.


esquisse d'une femme agenouillée
Artiste Antoine Watteau
Non daté
Source: Artnet

Sous l'article manteau dans le Dictionnaire de l'Académie française de 1694,  on peut lire «les femmes appellent aussi manteau, une espèce de robe plissée qu'elles portent avec une ceinture ». Avec le manteau, le vêtement de soutien de l'époque, qui s'appelle alors corps baleiné (aujourd'hui souvent confondu avec le corset), devient un sous-vêtement et ce de façon définitive dans la garde-robe quotidienne des bien nantis.  Munir une robe de baleines est un processus long et coûteux qui perdurera pour les Grands Habits de cour. Le manteau, contrairement à ces derniers, permet de faire varier plus facilement la pièce extérieure. Le corps à baleine reste un accessoire essentiel mais indépendant du manteau et recouvert par celui-ci. 

Définition du mot manteau
Dictionnaire de l'Académie Française, dédiée au Roy
1694
Tome 2, M-Z
Page 21
Source: Gallica

D'où vient ce terme, manteau?

Le terme manteau fait son apparition dans le vocabulaire français, ou devrais-je dire proto-français, dès le XIIe siècle et fait référence à l'idée de couvrir.  Au départ, le manteau est synonyme de cape, à partir de 1670, il s'agit aussi de la dernière pièce de vêtement que les dames enfilent pour leur toilette lors de l'habillement. Le manteau des femmes de la fin du règne de Louis XIV est, la plupart du temps, ouvert en avant, laissant voir soit le corps baleiné ou bien une pièce d'estomac, qui recouvre galamment l'ouverture laissée par le manteau. Le Mercure Galant, premier magazine de mode et revue officielle de spectacles, constate en 1678 que: 

« on n'y met presque plus que ce qui s'appelle des manteaux. Les robes ne sont que pour les visites de cérémonies ou pour celles qu'on rend aux gens d'un rang plus élevé que celui que l'on tient, & on ne s'en sert ni pour voir familièrement ses amies, ni pour les parties de promenade.»


Pages 380 et 381 
Mercure Galant, 
Quartier de Janvier 1678
Tome 1
Source: Google Books

Il est intéressant que pour les auteurs du Mercure Galant, le manteau n'est pas une robe et que le terme semble exclusif au Grand Habit, qui est le seul moment où les dames sont «habillées» La page de gauche ne suggère-t-elle pas que l'appellation robe ne convient qu'aux robes de cour? Je note la graphie particulière du «déshabillé» en «Des habillé d'Hyver» avec la page de droite. Cela indique peut-être l'origine de l'expression du XVIIIe siècle de «déshabillé» comme synonyme de vêtements usuels. Si le filon semble bon, il serait tout aussi bon de le creuser avant d'affirmer quelque chose à ce sujet.


Femme de qualité en déshabillé d'été
Artiste Jean Dieu de St-Jean
1683
Source: Gallica

Femme de Qualité en déshabillé d'étoffe siamoise
Jean Dieu de St-Jean
1687
Source: Gallica


Femme de Qualité en déshabillé
Auteur Jean Dieu de St-Jean
1690
Source: Gallica


La coupe du manteau est complexe, de même que la façon de le porter. Il est formé de plis larges au dos (parfois cousus, parfois seulement placés) ainsi que d'un savant retroussement de cette abondance de tissu sous la ceinture qui permet de voir l'envers du manteau. Si le Grand Habit se caractérise par l'uniformité des tissus de la jupe apparente et du corsage, le manteau, lui, varie les motifs et les couleurs des tissus entre le manteau, son revers, la jupe et la pièce d'estomac. C'est dans la décennie de 1680 qu'apparaît le terme falbala, désignant à l'origine une bande plissée régulièrement disposée sur la jupe qui la décore.


Femme de qualité en Stenkerke et falbala
Artiste Jean Dieu de St-Jean
1693
Source: Gallica


Louise Benedicte de Bourbon, Duchesse du Maine
Artiste Jean Mariette
XVIIe-XVIIIe siècle
Collection du Château de Versailles


Études de coiffure à la Fontange
Artiste Bernard Picart
1703
Collection du Rijksmuseum


Cette coiffure en hauteur et dentelles, visible sur plusieurs des portraits présentés jusqu'à présent est caractéristique des dernières décennies du règne de Louis XIV et s'appelle la Fontange. Selon la légende, Mlle de Fontange aurait improvisé cet arrangement de cheveux lors d'une partie de chasse royale en 1679. Après une chute ou simplement une chevauchée haletante, elle retrouve décoiffée. Elle aurait remonté ses cheveux sur le dessus de sa tête avec un simple ruban afin de poursuivre l'activité équestre. Cela aurait tellement plu au Roi-Soleil qu'il lui aurait demandé à passer la soirée coiffée de la sorte. Le lendemain toutes les dames de la Cour arboraient déjà cette coiffure en hauteur, voulant plaire à Sa Majesté Louis XIV. Informations tirées du livre «Histoire des modes et du vêtement, du Moyen-Âge au XXIe siècle».


Je n'ai pas trouvé de sources primaires par rapport à cette légende, qui a plusieurs versions. Dans certaines, c'est une jarretière qui fait office de ruban. Dans d'autres, une brindille s'est mêlée aux cheveux, permettant de faire prendre de la hauteur à la coiffure. Cette légende montre avec quelle facilité une nouvelle mode pouvait être créé à la cour de Versailles.

Le séjour de Mlle de Fontange à la cour fut très bref, de 1679 à 1680 avant de mourir en juin 1681. Elle fut la dernière maitresse du Roi-Soleil avant qu'il ne se marie avec Mme de Maintenon. Les indications que j'ai trouvées jusqu'à présent ne permettent pas de savoir si Mlle de Fontange elle-même a su qu'elle avait engendré une coiffure de mode.




La Fontange et le manteau sont possiblement les éléments de mode pour lesquels nous avons le plus de documentation en Nouvelle-France. En plus d'apparaître en peinture dans deux ex-voto peints en Nouvelle-France, celui  de Mme Riverin et celui de l'enfant malade du musée de Vaudreuil-Soulanges, la coiffure à la Fontange est aussi nommée dans les nouveaux voyages de M. Baron de Lahontan dans Amérique Septentrionale publiés en 1703. Ce dernier décrit le zèle des curés de la Nouvelle-France qui refusent la communion aux femmes des nobles pour une simple Fontange de couleur.


Détail de l'ex-voto de Madame Riverin
Date 1703
Auteur Anonyme
Collection du Musée National des Beaux-Arts du Québec
Crédit photo: Joseph Gagné

Ex-voto de l'enfant malade
Date 1697
Artiste Anonyme
Collection du Musée régional Vaudreuil-Soulanges

 


D'ailleurs, les écrits de cette période en Nouvelle-France qui parlent de vêtements féminins en cette fin du XVIIe siècle proviennent principalement d'ecclésiastiques qui se plaignent de l'indécence vestimentaire féminine.

 

Monseigneur de Laval utilisa sa plume pour exprimer son irritation envers les femmes de sa paroisse qui paraissaient dans l'enceinte de l'église trop dénudées à son goût. Je cite un extrait de son Mandement contre le luxe et vanité des femmes et filles dans l'Église de 1682:

 

«De quels crimes ne sont pas punissables et de quels punitions ne doive pas attendre celles qui portent cet appareil fastueux jusque dans nos églises, paraissant dans ces lieux consacrés à la prière et à la pénitence avec des habits indécents, faisant voir des nudités scandaleuses de bras, d'épaules et de gorges, se contentant de les couvrir de toile transparente,  ce qui sert bien souvent à donner plus de lustre à ces nudités honteuses »


Portrait de Madame Helyot
Artistes: Gérard Edelinck, Claude François et Jacques Galliot
 1685
Source Gallica

Monseigneur de Laval, premier évêque de Québec, rêvait probablement de faire de toutes les femmes de la colonie des femmes aussi pieuses et dévôtes que Madame Heylot. Malheureusement pour lui, la coquetterie et la vanité ne sont pas restées en France et se sont propagées au travers de la colonie.

Dame se promenant à la Campagne
Artiste Jean Dieu de St-Jean
Vers 1675- 1683
Source: Gallica



 

Le décolleté du manteau, dont vraisemblablement se plaint l'évêque Monseigneur de Laval, est variable d'une gravure à l'autre. Certaines, comme celles-ci, montrent un décolleté d'épaules qui a sans doute fait tiquer plusieurs ecclésiastiques comme Monseigneur de Laval.

Dame en habit de ville
Artiste: Jean Dieu de St-Jean
Fin XVIIe siècle
Collection du Musée Carnavalet

 



Il existe quelques rares exemplaires de manteaux dans les musées, cependant ils sont d'autres nationalités que française pour ceux que je connais et relativement tardifs de la période.


Manteau et jupe assortis
origine britannique
Artiste inconnu
Fin XVIIe siècle
Collection MET, metropolitan museum of art

Manteau, jupe et pièce d'estomac assortis
origine italienne
Artiste inconnu
Vers 1700
Collection LACMA, Los Angeles County Museum of Art




Manteau et jupe assortis
origine britannique
Artiste inconnu
vers 1708
Collection MET, metropolitan museum of art


Pour cette mode, j'ai trouvé beaucoup plus de portraits et gravures de foules avec des dames portant un manteau que la précédente, la robe de cour. 

D'abord, un petit rappel des capacités guérisseuses divines des Rois de France avec ce portrait de Louis XIV guérissant les malades.

Louis XIV touchant les malades des écrouelles
Artiste Jean Jouvenet
Non-daté
Collection de l'Abbatiale de Saint-Riquier
Source: Wikimedia Commons


On voit bien que la jeune fille en jaune et rouge au centre porte un corps à baleines en raison de l'angle de son tronc ainsi que la rectitude de son dos qu'elle fait pour voir Louis XVI tout en étant agenouillée. Aussi il s'agit d'une rare peinture montrant une coiffure à la Fontange de dos avec détails.

Ensuite, voici une vue perspective des jardins de Versailles:


Vue perspective du Bosquet de la Galerie des Antiques
Artiste Jean-Baptiste l'Ainé Martin
1688
Collection du Château de Versailles

J'adore ces vues en perspectives avec plein de petits détails que je vous partage avec plaisir.

Détail de
Vue perspective du Bosquet de la Galerie des Antiques
Artiste Jean-Baptiste l'Ainé Martin
1688
Collection du Château de Versailles


Détail de
Vue perspective du Bosquet de la Galerie des Antiques
Artiste Jean-Baptiste l'Ainé Martin
1688
Collection du Château de Versailles

Certaines dames, comme celle-ci en bleu et violet, préfèrent garder le Grand Habit lors de leur promenade dans les jardins autour de Versailles.


Détail de
Vue perspective du Bosquet de la Galerie des Antiques
Artiste Jean-Baptiste l'Ainé Martin
1688
Collection du Château de Versailles

Le souci du détail des costumes me fascine, surtout pour une oeuvre de paysage. Le revers noir de ce manteau rouge crée un effet dramatique à mon avis.

Détail de
Vue perspective du Bosquet de la Galerie des Antiques
Artiste Jean-Baptiste l'Ainé Martin
1688
Collection du Château de Versailles



Le manteau apparait aussi dans des peintures d'évènements extérieurs comme cette visite de chantier de Marseilles:



Le marquis de Seignelay et le duc de Vivonne visitent la galère Réale dans l'Arsenal de Marseille
Artiste Anonyme
Vers 1677
Collection du Château de Versailles


Quelques dames se sont jointes pour visiter la galère:
Détail de
Le marquis de Seignelay et le duc de Vivonne visitent la galère Réale dans l'Arsenal de Marseille
Artiste Anonyme
Vers 1677
Collection du Château de Versailles



D'autres gravures perspectives montre des promeneuses habillées de manteaux.


''Vue de la fontaine du point du jour (cabinet des combats d'animaux sud) dans les jardins de Versailles''
Artistes: Dominique Girard et Jean Raymond
1714-1715
Collection du Château de Versailles

Détail de
''Vue de la fontaine du point du jour (cabinet des combats d'animaux sud) dans les jardins de Versailles''
Artistes: Dominique Girard et Jean Raymond
1714-1715
Collection du Château de Versailles



Les prochaines gravures tirées de l'oeuvre de Nicolas Guérard montrent des gens de Paris dans leur quotidien et l'adoption lente de la mode des manteaux pour des classes sociales moins aisées, hormis pour la première qui montre une dame louant les services pour une chaise à porteur.


''Vive Paris on a tout a souhait''
gravure de Nicolas Guérard
XVIIe siècle
Collection du Musée Carnavalet




''Parguyé je suis François et non pas Turcque..''
gravure de Nicolas Guérard
XVIIe siècle
Collection du Musée Carnavalet

Le retroussement du bas du manteau est plus brouillon pour les femmes du commun que ceux des dames de qualité mais l'imitation est visible.


''Tu as menti vilain hatabas''
gravure de Nicolas Guérard
XVIIe siècle
Collection du Musée Carnavalet




''Diverses petitte Figure des Cris de Paris''
gravure de Nicolas Guérard
XVIIe siècle
Collection du Musée Carnavalet

Certaines coiffures ressemblent plus à la Fontange que d'autres.

''L'embaras de Paris''
gravure de Nicolas Guérard
1er quart XVIIIe siècle
Collection du Musée Carnavalet

À votre tour maintenant de trouver des manteaux de femme sur cette gravure montrant les embouteillages de Paris sur le Pont-Neuf au début du XVIIIe siècle!


Terminons ce tour d'horizon de la mode des manteaux avec un portrait de la fin de cette période.

Portrait de Mme Monginot et son époux
Artiste Jean-François Troy
Vers 1710-1713
Collection du Musée d'Art de Nantes


 Ce manteau est sobre, composé de velours marron aux revers également de velours noir visible à l'encolure, aux manches.

 

On peut dire que la mode du manteau durera pendant une quarantaine d'années, jusque vers les années 1710.


Comme nous le verrons dans le prochain article, le manteau évoluera en la prochaine mode: la robe volante, dans ses débuts appelée manteau volant.


Amour paisible
Artiste Antoine Watteau
1718-1719
Collection du Musée du Château de Charlottenburg
Source: Universalis.fr

Même si je présente les modes de façon chronologique, il faut se rappeler que l'émergence d'une nouvelle mode au détriment d'une autre est un processus lent qui occasionne des périodes de chevauchements comme dans ce portrait dAntoine Watteau où le manteau côtoie la prochaine mode, la robe volante.






Mlle Canadienne













vendredi 15 novembre 2019

S'arracher les cheveux à cause d'un mot... La cadenette, coiffure spécifique ou nom générique?


Bonjour!

Un peu dans la suite de mon article sur le mot pet-en-l'air et ses différentes significations, j'aimerais révéler le problème que m'a procuré le mot cadenette.

Lorsque nous avons monté la première conférence à propos des coiffures masculines Michel Thévenin et moi, nous sommes tombés sur un mot qui nous laissait perplexe: la cadenette.

Dans l'Art du perruquier de M. de Garsault, il est mention de cadenettes dans la description de perruque mais aussi lors de la description de l'acommodage des cheveux naturels.

Extrait de L'art du perruquier
Par M. de Garsault
1767
Source: Gallica

Si le cadogan est longuement expliqué dans l'Art du Perruquier, la bourse facilement détaillée dans les planches et dictionnaires de l'époque, il en est autrement pour la cadenette.

Selon M. de Garsault, voici une perruque à deux cadenettes:

Extrait de L'art du perruquier
Planche II, H; Perruque à deux cadenette
Par M. de Garsault
1767
Source: Gallica



Pour avoir plus d'information sur ce mot, nous nous sommes tournés vers les dictionnaires de l'époque pour obtenir une définition.

Le mot est absent du Dictionnaire de Richelet de 1680.

Dans le Dictionnaire de Furetières de 1690 (trouvé sur Gallica), on peut lire la définition suivante:
''Cadenette s. f. Grande moustache, poignée de cheveux qu'on laissait croitre autrefois du côté gauche tandis qu'on tenait les autres courts. La mode de cadenettes a été fort longtemps en vogue''

La définition des dictionnaires de l'Académie Française est presque identique entre l'édition de 1694 et 1762.

''Cadenette s. f. Longue tresse, moustache qui tombe plus bas que le reste des cheveux. Autrefois, on portoit des cadenettes''
(édition de 1694)

Dans la définition de 1762, les mots moustache et autrefois sont disparus. Voir cette recherche dans ce site consacrés aux dictionnaires d'autrefois.

Puisque les définitions des dictionnaires ne collaient pas complètement avec l'utilisation de M. de Garsault, nous avions décidé de ne pas mettre en lumière ce mot pour notre première conférence en 2018.


Selon la définition du dictionnaire de Furetière, voici l'illustration d'une cadenette.

Portrait de Prince en pied décrit par Gallica comme portant une longue cadenette
Tiré de la Collection du collectionneur Roger de Gainières (1642-1715)
Source: Gallica

Or voilà, un Monsieur dans l'assistance voulait en savoir plus sur les cadenettes. À l'époque, je n'avais pas encore fait cette recherche,  la question dépassait alors mon champ de connaissances.


Le temps a passé mais la question est restée. Qu'est-ce qu'une cadenette? À force de naviguer sur internet, j'ai vu plusieurs définitions de cadenette.

La plupart place les cadenettes d'un côté ou de chaque côté de la tête, en avant des oreilles, comme dans la définition du dictionnaire de Furetières.



Dans les notes historiques des patrons de La Fleur de Lyse, les cadenettes sont illustrées par deux tresses faites avec les cheveux de la partie avant de l'oreille. Dessinatrice Delphine Bergeron.
Illustration de cadenettes
Dessinatrice Delphine Bergeron
Tiré des notes historiques du patron :Petit Habit du soldat français
Fleur de Lyse
Avec la permission de Suzanne Gousse


Pour l'excellente troupe de reconstitution Les Mousquets du Roy, les cadenettes sont des mèches de cheveux enrubannées de l'avant de la tête .


Un soldat français en Nouvelle-France vers 1690, avec son habillement pour les campagnes hivernales.
Crédit photo: Ed Read
Les Mousquets du Roy
Avec la permission de David Ledoyen

Soldats des troupes de la Marine de 1690
 Les Mousquets du Roy
Avec la permission de David Ledoyen



Pour d'autres, la coiffure que je nomme queue de rat est une cadenette.

Détail: Le repas de chasse
Artiste: François Boucher
1735
Exposé au Musée du Louvre

Se pourrait-il que la cadenette soit un nom générique qui ne définit pas une coiffure précise? Ou bien la définition de la cadenette a-t-elle évolué au fil du temps? La définition varie-t-elle en fonction des contextes d'utilisation?

Après avoir fait une recherche sur Gallica et BANQ, j'en vient à la conclusion qu'une cadenette est synonyme de tresse et qu'elle ne désigne pas une coiffure précise et spécifique.

Dans mes recherches pour cet article, seules les sources du 17ième et 18ième siècle ont été sélectionnées.


Selon le Petit dictionnaire de la cour et de la ville, de l'auteur Jean Marie Bernard Clément, publié à Londres en 1788, c'est à Henri D'Albret, Seigneur de Cadenet, que l'on doit la mode des cadenettes. Description trouvé sous la rubrique ''cour''. De quoi ces cadenettes avaient-elles l'air, cela n'est point précisé.

Une autre source attribue l'invention de la Cadenette à Honoré d'Albert:

Extrait du Dictionnaire étymologique de la langue françoise
par Gilles Ménage
1750
Source: Gallica


Entre Henri et Honoré, D'Albret ou D'Albert, il y a une différence pour attribuer la mode de la cadenette!



Les cadenettes dans les dictionnaires de traduction

À ma grande surprise, les sources qui ont été le plus éclairantes sur le sujet des cadenettes sont des dictionnaires multilingues de l'époque. Le premier dictionnaire que j'ai croisé était un dictionnaire trilingue entre le français, le tartare et le Mantchou.

Extrait du Dictionnaire Tartare-Mantchou-François
Par Louis Langlès
1789-1790
Source: Gallica
Voilà la première source que j'ai trouvée qui met en relation directe l'action de tresser et de faire une cadenette.

Un second dictionnaire met en relation ces deux idées, soit le Dictionnaire entre le patois du Langue-d'Oc et le français

Extrait du dictionnaire Languedocien-François,
contenant un Recueil pratique des principales fautes que commettent,
dans la diction et la prononciation françoise,
les Habitants des Provinces Méridionales,
autrefois connues sous la dénomination générale de la Langue-d'Oc
Par Pierre-Augustin Boissier de Sauvages
1785
Source: Gallica

Cette source est encore mieux car elle définit clairement la cadenette comme étant des cheveux tressés ou nattés.

Puisque ces définitions sont tardives par rapport à l'échelle de temps que je me suis fixée, j'ai quand même recherché le contexte dans lequel le mot cadenette apparait dans les textes du 17ième et 18ième siècle.


Les cadenettes dans un contexte militaire

Extrait de Cassations de soudrilles
des Oeuvres du Sieur de Saint-Amant
Par Marc-Antoine Girard de Saint-Amant
1642
Source: Gallica
Ce premier texte du 17ième siècle est un texte parodique de ce que doivent faire les gens de guerres lorsque la paix est signée. Il débute en s'adressant à un métier de l'armée par paragraphe: Valets de piques, sergents, enseignes, lieutenants, capitaines, tambours... Ici les cadenettes sont associées au grade de Capitaine. Cependant, aucune description pour savoir à quel endroit de la tête sont placées les cadenettes dans cet extrait. Malheureusement, c'est le cas de la plupart des textes qui mentionnent les cadenettes.

Extrait du Règlement provisionnel pour le service de l'infanterie et de la cavalerie en campagne
Par le Secrétariat d'État à la Guerre
1744
Source: Gallica
Ce texte est plus officiel, étant un règlement émis par le Secrétariat d'État à la Guerre en 1744. Ici les cadenettes sont associées au grade de soldats désigné pour faire les gardes, que les sergents auront vérifiés que leurs cadenettes sont attachées, leurs guêtres mises, les chapeaux dépoussiérés, les armes en état...
Extrait du Code Militaire, ou compilation des ordonnances des rois de France concernant les gens de guerre
Tome quatrième
Par M. de Briquet
1761
Source: Gallica
Bien que la version illustrée ici soit de 1761, la même ordonnance apparait déjà dans la première compilation des ordonnances de 1728. Cet extrait démontre la discipline que doit exercer le sergent sur ses soldats: faire les lits et le ménage avant neuf heures du matin, s'assurer que les soldats soient propres avant de sortir de leur casernement: les mains et visage lavés, les chapeaux retapés, les cravates bien mises, les cheveux peignés, mis en queue ou en cadenette. Ici, les cadenettes sont une alternative à la queue, que j'imagine être l'équivalent de la coiffure nommée queue de cheval de nos jours.



Extrait de la Seconde suite d'estampes pour servir à l'histoire des moeurs et costume des français dans le dix-huitième siècle
Année 1776
De l'imprimeur de Prault, imprimeur du Roy
Source: Gallica
Cet extrait décrit une estampe de 1776. Le texte fait d'abord l'historique de la coiffure féminine avant de s'intéresser à la chevelure masculine.  Ici, la cadenette et la tresse sont deux éléments de coiffures différents, qui avec la queue, sont réservé aux Militaires. Le fait qu'on désigne séparément la tresse et la cadenette dans cet extrait tend à prouver que les deux ne sont pas exactement la même chose.



Pour faire un lien entre les peintures de soldats du 18ième siècle et ces textes, surtout avec l'extrait du code militaire qui spécifie que le sergent doit s'assurer que les soldats quittent leur casernement peignés, les cheveux en queue ou en cadenettes, il semble que ce que j'appelais queue de rat était aussi appelé cadenette au 18ième siècle.
Détail de militaires arborant des cadenettes, que je nomme queue de rat
 '' Siège de Fribourg-en-Briscau, 11 novembre 1744''
Artiste: Pierre-Nicolas Lenfant
1744-1445
Collections du Château de Versailles

La cadenette comme lustre social

Extrait de Le Railleur ou la Satyre du temps, comédie
par André Mareschal
1638
Source: Gallica
Cet extrait d'une comédie du 17ième siècle, énumère les attributs superficiels qui font tomber en amour les filles: les brillants, la plume, l'or et les cadenettes.

Extrait du Nouveau Mercure
Avril 1717
Source: Gallica

Dans cette description de pièce de théâtre de 1717, le personnage d'Arlequin utilise les cheveux coupés de Sanson sur sa tête, ''en guise de cadenettes'' pour posséder la force légendaire de Sanson. La scène comique qui s'ensuit prouve au publique que cet astuce ne fonctionne pas.

Extrait de L'Aeneide travestie
Livre quatriesme
Contenant les Amours d'Aenee et de Didon
Par Antoine Furetière
1649
Ce qui est intéressant dans cet extrait, c'est que c'est un des seuls que j'ai trouvé qui mentionne l'usage d'un ruban, ici des bandelettes associé avec les cadenettes, qu'il faut resserrer pour être présentable. M. de Furetières est plus connus aujourd'hui pour son dictionnaire que pour son oeuvre littéraire.  Cette parodie met en scène des héros de l'antiquité gréco-romaine. Fait à souligner, au 17ième et 18ième siècle, les pièces de théatre étaient jouées avec des habits contemporain. Le contexte semble celui d'un homme qui attend la venue d'une (ou plusieurs) demoiselle(s) et qui se fait demander de resserrer ses cadenettes pour être plus présentable.


Les cadenettes pour les femmes

Bien que moins nombreux, certains textes parlent de cadenettes pour décrire la coiffure féminine.

Extrait Le rabais du pain, en vers burlesque
1649
Source: Gallica


Dans cet extrait, les cadenettes sont attribuées à des femmes plutôt qu'à des hommes, comme tous les autres textes semblaient le sous-entendre.

Extrait du Dictionnaire des origines, découvertes, inventions et établissements
Tome premier
ou
Tableau historique de l'origine & des progrès de tout ce qui a rapport aux Sciences & aux Arts, aux modes et aux Usages, Ancien & Moderne, aux différents États, Dignités,Titres ou Qualités; & généralement tout ce qui peut être utile, curieux & intéressant à toutes les classes de Citoyens
Par une société de gens de lettres
1777
Source: Gallica
Cet extrait décrit les cadenettes de femmes comme des perruques que les dames de l'époque de Henri IV portaient le matin avant de peigner leur cheveux. Le règne d'Henri IV se situe à la fin du 16ième siècle.




Extrait de l'Encyclopédie méthodique. Arts et métiers mécaniques.
Tome 6
de Jacques Lacombe
1782-1791
Source: Gallica
J'avoues avoir de la difficulté à interpréter cet extrait. Il apparait à la fin du texte consacré à la perruque de femme ou chignon, sous la section perruque de l'Encyclopédie méthodique de Jacques Lacombes. Précédant la description de favoris de boucles (des boucles destinées à être à l'avant de l'oreille), la cadenette est faite des cheveux derrière les oreilles, les parties avant des oreilles sont appelée des faces. Ce qui est mêlant dans les textes parlant de perruque, c'est que les tresses nomment les chaines de fils et de cheveux qui forme l'unité de base de la perruque. Donc le tressé gros signifie, à mon avis, une faible densité de cheveux par tresse.

Je crois qu'une image vaut mille mots alors voilà une estampe présentant une femme coiffée de cadenettes.
Estampe représentant Marie-Antoinette d'Autriche
Titre selon Gallica: Marie-Antoinette, de profil à gauche, coiffée en boucles et cadenettes, chapeau noir surmonté de plumes multicolores, vêtue d'une amazone couleur fraise écrasée, l'habit ouvert sur une veste blanche brodée ; montée en femme sur un cheval blanc à housse bleue bordée d'or
Source: Gallica 
C'est une estampe de Marie-Antoinette, future dernière reine des français. Ici la cadenette semble n'être qu'une tresse remontée dans le chignon. 

Extrait du Journal de voyage fait par ordre du Roy dans l'Amérique Septentrionale
Adressé à Mme la Duchesse de Lesdiguières
Par le Père de Charlevoix de la Compagnie de Jésus
Tome troisième
1744
Source: BANQ
Ici les cadenettes sont utilisées pour décrire la chevelure des femmes Amérindiennes. Elles utilisent des peaux de serpent ou d'anguilles pour les fabriquer. C'est la deuxième mention de bandes qui enveloppent les cadenettes, ici des peaux d'anguille ou de serpent.


Les cadenettes pour les Nations Amérindiennes


Comme le dernier extrait l'a démontré, le mot cadenette n'est pas réservé au gens de la Nation Française.


Extrait de Nouvelle relations de la Gaspésie, qui contient les moeurs & la religion des Sauvages Gaspésiens Porte-Croix, adorateurs du soleil, & d'autres peuples de l'Amérique Septentrionale dite le Canada
Dédiée à Madame la Princesse D'Épinoy
Par le Père Chrétien LeClercq
1691
Source: BANQ
Selon le père Chrétien LeClercq, les Mic-Macs de la Gaspésie se coupaient les cheveux de sorte qu'ils ne peuvent plus porter des cadenettes durant leur période de deuil qui dure un an.




Extrait du Journal de voyage fait par ordre du Roy dans l'Amérique Septentrionale
Adressé à Mme la Duchesse de Lesdiguières
Par le Père de Charlevoix de la Compagnie de Jésus
Tome deuxième
1744
Source: BANQ

Encore une fois, les cheveux des Amérindiens sont décrit avec des cadenettes.








J'étais sur le point de terminer cet article quand j'ai trouvé LA source qu'il me fallait pour décrire la cadenette. Cette source décrit les deux manières de définir la cadenette, comme la tresse portée à gauche plus longue que la chevelure et comme une queue nouée.

Extrait du dictionnaire critique de la langue française
Tome premier A-D
Par Jean-François Féraud
1787
Source: Gallica

Je tiens à souligner, malgré que cet article soit complet en ce qui a trait aux cadenettes, il ne contient pas tous les titres ayant utilisé ce mot aux 17ième et 18ième siècle. J'ai vu le mot utilisé pour décrire la perruque d'un acteur au théâtre, les cheveux des femmes en Chine, les cheveux des Amérindiens de la Louisiane... La liste des extraits n'est pas exhaustive.

Au final, la cadenette a servi à décrire différents accomodages et comme la plupart des mots ayant plusieurs définitions, le contexte permet de comprendre laquelle est utilisée.



Détail: Le repas de chasse
Artiste: François Boucher
1735
Exposé au Musée du Louvre


Je n'appellerais plus cette coiffure queue de rat mais bien cadenette à l'avenir!


Mlle Canadienne
Révisé le 2019-12-21

Les mystères du vêtement féminin au XVIIIe siècle, le cas du caraco

  Bonjour, Après avoir recherché le mot casaquin dans les ouvrages du siècle des Lumières, j'ai décidé de faire de même avec le mot cara...