Un peu dans la suite de mon article sur le mot pet-en-l'air et ses différentes significations, j'aimerais révéler le problème que m'a procuré le mot cadenette.
Lorsque nous avons monté la première conférence à propos des coiffures masculines Michel Thévenin et moi, nous sommes tombés sur un mot qui nous laissait perplexe: la cadenette.
Dans l'Art du perruquier de M. de Garsault, il est mention de cadenettes dans la description de perruque mais aussi lors de la description de l'acommodage des cheveux naturels.
Extrait de L'art du perruquier Par M. de Garsault 1767 Source: Gallica |
Si le cadogan est longuement expliqué dans l'Art du Perruquier, la bourse facilement détaillée dans les planches et dictionnaires de l'époque, il en est autrement pour la cadenette.
Selon M. de Garsault, voici une perruque à deux cadenettes:
Extrait de L'art du perruquier Planche II, H; Perruque à deux cadenette Par M. de Garsault 1767 Source: Gallica |
Pour avoir plus d'information sur ce mot, nous nous sommes tournés vers les dictionnaires de l'époque pour obtenir une définition.
Le mot est absent du Dictionnaire de Richelet de 1680.
Dans le Dictionnaire de Furetières de 1690 (trouvé sur Gallica), on peut lire la définition suivante:
''Cadenette s. f. Grande moustache, poignée de cheveux qu'on laissait croitre autrefois du côté gauche tandis qu'on tenait les autres courts. La mode de cadenettes a été fort longtemps en vogue''
La définition des dictionnaires de l'Académie Française est presque identique entre l'édition de 1694 et 1762.
''Cadenette s. f. Longue tresse, moustache qui tombe plus bas que le reste des cheveux. Autrefois, on portoit des cadenettes''
(édition de 1694)
Dans la définition de 1762, les mots moustache et autrefois sont disparus. Voir cette recherche dans ce site consacrés aux dictionnaires d'autrefois.
Puisque les définitions des dictionnaires ne collaient pas complètement avec l'utilisation de M. de Garsault, nous avions décidé de ne pas mettre en lumière ce mot pour notre première conférence en 2018.
Selon la définition du dictionnaire de Furetière, voici l'illustration d'une cadenette.
Portrait de Prince en pied décrit par Gallica comme portant une longue cadenette Tiré de la Collection du collectionneur Roger de Gainières (1642-1715) Source: Gallica |
Or voilà, un Monsieur dans l'assistance voulait en savoir plus sur les cadenettes. À l'époque, je n'avais pas encore fait cette recherche, la question dépassait alors mon champ de connaissances.
Le temps a passé mais la question est restée. Qu'est-ce qu'une cadenette? À force de naviguer sur internet, j'ai vu plusieurs définitions de cadenette.
La plupart place les cadenettes d'un côté ou de chaque côté de la tête, en avant des oreilles, comme dans la définition du dictionnaire de Furetières.
Dans les notes historiques des patrons de La Fleur de Lyse, les cadenettes sont illustrées par deux tresses faites avec les cheveux de la partie avant de l'oreille. Dessinatrice Delphine Bergeron.
Illustration de cadenettes Dessinatrice Delphine Bergeron Tiré des notes historiques du patron :Petit Habit du soldat français Fleur de Lyse Avec la permission de Suzanne Gousse |
Pour l'excellente troupe de reconstitution Les Mousquets du Roy, les cadenettes sont des mèches de cheveux enrubannées de l'avant de la tête .
Un soldat français en Nouvelle-France vers 1690, avec son habillement pour les campagnes hivernales. Crédit photo: Ed Read Les Mousquets du Roy Avec la permission de David Ledoyen |
Soldats des troupes de la Marine de 1690 Les Mousquets du Roy Avec la permission de David Ledoyen |
Pour d'autres, la coiffure que je nomme queue de rat est une cadenette.
Détail: Le repas de chasse Artiste: François Boucher 1735 Exposé au Musée du Louvre |
Se pourrait-il que la cadenette soit un nom générique qui ne définit pas une coiffure précise? Ou bien la définition de la cadenette a-t-elle évolué au fil du temps? La définition varie-t-elle en fonction des contextes d'utilisation?
Après avoir fait une recherche sur Gallica et BANQ, j'en vient à la conclusion qu'une cadenette est synonyme de tresse et qu'elle ne désigne pas une coiffure précise et spécifique.
Dans mes recherches pour cet article, seules les sources du 17ième et 18ième siècle ont été sélectionnées.
Selon le Petit dictionnaire de la cour et de la ville, de l'auteur Jean Marie Bernard Clément, publié à Londres en 1788, c'est à Henri D'Albret, Seigneur de Cadenet, que l'on doit la mode des cadenettes. Description trouvé sous la rubrique ''cour''. De quoi ces cadenettes avaient-elles l'air, cela n'est point précisé.
Une autre source attribue l'invention de la Cadenette à Honoré d'Albert:
Extrait du Dictionnaire étymologique de la langue françoise par Gilles Ménage 1750 Source: Gallica |
Entre Henri et Honoré, D'Albret ou D'Albert, il y a une différence pour attribuer la mode de la cadenette!
Les cadenettes dans les dictionnaires de traduction
À ma grande surprise, les sources qui ont été le plus éclairantes sur le sujet des cadenettes sont des dictionnaires multilingues de l'époque. Le premier dictionnaire que j'ai croisé était un dictionnaire trilingue entre le français, le tartare et le Mantchou.
Extrait du Dictionnaire Tartare-Mantchou-François Par Louis Langlès 1789-1790 Source: Gallica |
Un second dictionnaire met en relation ces deux idées, soit le Dictionnaire entre le patois du Langue-d'Oc et le français
Extrait du dictionnaire Languedocien-François, contenant un Recueil pratique des principales fautes que commettent, dans la diction et la prononciation françoise, les Habitants des Provinces Méridionales, autrefois connues sous la dénomination générale de la Langue-d'Oc Par Pierre-Augustin Boissier de Sauvages 1785 Source: Gallica |
Cette source est encore mieux car elle définit clairement la cadenette comme étant des cheveux tressés ou nattés.
Puisque ces définitions sont tardives par rapport à l'échelle de temps que je me suis fixée, j'ai quand même recherché le contexte dans lequel le mot cadenette apparait dans les textes du 17ième et 18ième siècle.
Les cadenettes dans un contexte militaire
Extrait de Cassations de soudrilles des Oeuvres du Sieur de Saint-Amant Par Marc-Antoine Girard de Saint-Amant 1642 Source: Gallica |
Ce premier texte du 17ième siècle est un texte parodique de ce que doivent faire les gens de guerres lorsque la paix est signée. Il débute en s'adressant à un métier de l'armée par paragraphe: Valets de piques, sergents, enseignes, lieutenants, capitaines, tambours... Ici les cadenettes sont associées au grade de Capitaine. Cependant, aucune description pour savoir à quel endroit de la tête sont placées les cadenettes dans cet extrait. Malheureusement, c'est le cas de la plupart des textes qui mentionnent les cadenettes.
Extrait du Règlement provisionnel pour le service de l'infanterie et de la cavalerie en campagne Par le Secrétariat d'État à la Guerre 1744 Source: Gallica |
Extrait du Code Militaire, ou compilation des ordonnances des rois de France concernant les gens de guerre Tome quatrième Par M. de Briquet 1761 Source: Gallica |
Bien que la version illustrée ici soit de 1761, la même ordonnance apparait déjà dans la première compilation des ordonnances de 1728. Cet extrait démontre la discipline que doit exercer le sergent sur ses soldats: faire les lits et le ménage avant neuf heures du matin, s'assurer que les soldats soient propres avant de sortir de leur casernement: les mains et visage lavés, les chapeaux retapés, les cravates bien mises, les cheveux peignés, mis en queue ou en cadenette. Ici, les cadenettes sont une alternative à la queue, que j'imagine être l'équivalent de la coiffure nommée queue de cheval de nos jours.
Cet extrait décrit une estampe de 1776. Le texte fait d'abord l'historique de la coiffure féminine avant de s'intéresser à la chevelure masculine. Ici, la cadenette et la tresse sont deux éléments de coiffures différents, qui avec la queue, sont réservé aux Militaires. Le fait qu'on désigne séparément la tresse et la cadenette dans cet extrait tend à prouver que les deux ne sont pas exactement la même chose.
Extrait de la Seconde suite d'estampes pour servir à l'histoire des moeurs et costume des français dans le dix-huitième siècle Année 1776 De l'imprimeur de Prault, imprimeur du Roy Source: Gallica |
Pour faire un lien entre les peintures de soldats du 18ième siècle et ces textes, surtout avec l'extrait du code militaire qui spécifie que le sergent doit s'assurer que les soldats quittent leur casernement peignés, les cheveux en queue ou en cadenettes, il semble que ce que j'appelais queue de rat était aussi appelé cadenette au 18ième siècle.
Détail de militaires arborant des cadenettes, que je nomme queue de rat '' Siège de Fribourg-en-Briscau, 11 novembre 1744'' Artiste: Pierre-Nicolas Lenfant 1744-1445 Collections du Château de Versailles |
La cadenette comme lustre social
Cet extrait d'une comédie du 17ième siècle, énumère les attributs superficiels qui font tomber en amour les filles: les brillants, la plume, l'or et les cadenettes.
Dans cette description de pièce de théâtre de 1717, le personnage d'Arlequin utilise les cheveux coupés de Sanson sur sa tête, ''en guise de cadenettes'' pour posséder la force légendaire de Sanson. La scène comique qui s'ensuit prouve au publique que cet astuce ne fonctionne pas.
Ce qui est intéressant dans cet extrait, c'est que c'est un des seuls que j'ai trouvé qui mentionne l'usage d'un ruban, ici des bandelettes associé avec les cadenettes, qu'il faut resserrer pour être présentable. M. de Furetières est plus connus aujourd'hui pour son dictionnaire que pour son oeuvre littéraire. Cette parodie met en scène des héros de l'antiquité gréco-romaine. Fait à souligner, au 17ième et 18ième siècle, les pièces de théatre étaient jouées avec des habits contemporain. Le contexte semble celui d'un homme qui attend la venue d'une (ou plusieurs) demoiselle(s) et qui se fait demander de resserrer ses cadenettes pour être plus présentable.
Les cadenettes pour les femmes
Bien que moins nombreux, certains textes parlent de cadenettes pour décrire la coiffure féminine.
Extrait de Le Railleur ou la Satyre du temps, comédie par André Mareschal 1638 Source: Gallica |
Extrait du Nouveau Mercure Avril 1717 Source: Gallica |
Dans cette description de pièce de théâtre de 1717, le personnage d'Arlequin utilise les cheveux coupés de Sanson sur sa tête, ''en guise de cadenettes'' pour posséder la force légendaire de Sanson. La scène comique qui s'ensuit prouve au publique que cet astuce ne fonctionne pas.
Extrait de L'Aeneide travestie Livre quatriesme Contenant les Amours d'Aenee et de Didon Par Antoine Furetière 1649 |
Les cadenettes pour les femmes
Bien que moins nombreux, certains textes parlent de cadenettes pour décrire la coiffure féminine.
Extrait Le rabais du pain, en vers burlesque 1649 Source: Gallica |
Dans cet extrait, les cadenettes sont attribuées à des femmes plutôt qu'à des hommes, comme tous les autres textes semblaient le sous-entendre.
Extrait du Dictionnaire des origines, découvertes, inventions et établissements Tome premier ou Tableau historique de l'origine & des progrès de tout ce qui a rapport aux Sciences & aux Arts, aux modes et aux Usages, Ancien & Moderne, aux différents États, Dignités,Titres ou Qualités; & généralement tout ce qui peut être utile, curieux & intéressant à toutes les classes de Citoyens Par une société de gens de lettres 1777 Source: Gallica |
Extrait de l'Encyclopédie méthodique. Arts et métiers mécaniques. Tome 6 de Jacques Lacombe 1782-1791 Source: Gallica |
Je crois qu'une image vaut mille mots alors voilà une estampe présentant une femme coiffée de cadenettes.
Estampe représentant Marie-Antoinette d'Autriche Titre selon Gallica: Marie-Antoinette, de profil à gauche, coiffée en boucles et cadenettes, chapeau noir surmonté de plumes multicolores, vêtue d'une amazone couleur fraise écrasée, l'habit ouvert sur une veste blanche brodée ; montée en femme sur un cheval blanc à housse bleue bordée d'or Source: Gallica |
Extrait du Journal de voyage fait par ordre du Roy dans l'Amérique Septentrionale Adressé à Mme la Duchesse de Lesdiguières Par le Père de Charlevoix de la Compagnie de Jésus Tome troisième 1744 Source: BANQ |
Les cadenettes pour les Nations Amérindiennes
Comme le dernier extrait l'a démontré, le mot cadenette n'est pas réservé au gens de la Nation Française.
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Extrait de Nouvelle relations de la Gaspésie, qui contient les moeurs & la religion des Sauvages Gaspésiens Porte-Croix, adorateurs du soleil, & d'autres peuples de l'Amérique Septentrionale dite le Canada Dédiée à Madame la Princesse D'Épinoy Par le Père Chrétien LeClercq 1691 Source: BANQ |
Extrait du Journal de voyage fait par ordre du Roy dans l'Amérique Septentrionale Adressé à Mme la Duchesse de Lesdiguières Par le Père de Charlevoix de la Compagnie de Jésus Tome deuxième 1744 Source: BANQ |
Encore une fois, les cheveux des Amérindiens sont décrit avec des cadenettes.
J'étais sur le point de terminer cet article quand j'ai trouvé LA source qu'il me fallait pour décrire la cadenette. Cette source décrit les deux manières de définir la cadenette, comme la tresse portée à gauche plus longue que la chevelure et comme une queue nouée.
Extrait du dictionnaire critique de la langue française Tome premier A-D Par Jean-François Féraud 1787 Source: Gallica |
Je tiens à souligner, malgré que cet article soit complet en ce qui a trait aux cadenettes, il ne contient pas tous les titres ayant utilisé ce mot aux 17ième et 18ième siècle. J'ai vu le mot utilisé pour décrire la perruque d'un acteur au théâtre, les cheveux des femmes en Chine, les cheveux des Amérindiens de la Louisiane... La liste des extraits n'est pas exhaustive.
Au final, la cadenette a servi à décrire différents accomodages et comme la plupart des mots ayant plusieurs définitions, le contexte permet de comprendre laquelle est utilisée.
Détail: Le repas de chasse
Artiste: François Boucher
1735
Exposé au Musée du Louvre
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Je n'appellerais plus cette coiffure queue de rat mais bien cadenette à l'avenir!
Mlle Canadienne
Révisé le 2019-12-21
Beau travail de recherche exhaustive, merci!
RépondreSupprimerbonjour,
RépondreSupprimertrès intéressant, ces tresses ou cadenettes ! lovelocks en anglais !
par contre je suis quasiment certaine que la famille d'Albert ou d'Albret est la même, les noms ayant des orthographes fluctuantes à cette époque, Jeanne d'Albret était la mère d'Henri IV, cette famille était l'une des grandes familles du sud-ouest de la France.
Bonjour,
SupprimerMerci de me lire!
C'est une piste qui serait à creuser, à savoir si D'Albert et D'Albret sont deux dénominations différentes pour la même famille. Il me semble que j'avais fait une rapide recherche et que ces deux noms me menaient vers des familles différentes mais je n'en suis plus certaine.
Bonjour et merci pour vos recherches. Très intéressant tout ça, et je crois qu'il y a une dernière facette de la cadenette à mentionner : celle des muscadins de la réaction Thermidorienne, "cheveux tressés en cadenettes...relevés derrière par un peigne" (qui pourrait faire référence au besoin d'écarter la tresse pour le couperet de la guillotine). Les rapports de police insistent sur l'insolence de ces jeunes gens à cadenettes "remontées".
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