Bonjour,
Bienvenue à ce troisième chapitre de mon survol de l'évolution de la vêture féminine en Nouvelle-France. Vers 1670, les derniers contingents de Filles du Roy qui traversent l'Atlantique sont de plus en plus réduits. En 1673, la dernière année de cette politique de peuplement, seulement une soixantaine de femmes ont fait la traversée.
Je vous avais laissé au chapitre 2 avec ce tableau de foule représentant à la fois une Robe de Cour en rose à droite et un manteau de dos en noir et jaune:
Louis XIV devant la grotte de Téthys Artiste Anonyme Après 1670 Collection du Château de Versailles |
La mode du manteau, aussi appelé mantua en anglais et en espagnol, est la nouvelle mode émerge au cours de la décennie 1670 dans la métropole. À mon avis, cette mode est un premier pas vers le renouvellement fréquent et continu des modes que la France connaît depuis cette époque. Cela a aidé la France de Louis XIV à s'imposer comme modèle en matière de mode vestimentaire.
La jeune fille de l'artiste qui s'occupe de son frère; Artiste: Claude Lefebvre, entre 1670 et 1675, Collection du Musée National Magnin, Dijon |
Cette peinture est la plus réaliste que j'ai trouvée illustrant cette mode particulière. J'adore les détails de rubans qui rappelle la mode des rhingraves masculines du milieu du XVIIe siècle.
La couturier Gravure de 1695, édité en 1750 Source: Gallica |
Blason des couturières de Paris Source: Catawiki |
Pour faire valoriser sa manchandise on méprise celle d'autrui Gravure de 1695, édité en 1750 Source: Gallica |
La mode du manteau, qui m'intéresse dans cet article, est possiblement une répercussion directe de l'édit de mars 1673, et de l'officialisation du corps de métier des couturières. La légalisation du métier de maitresse couturière n'empêche pas la continuation de la mésentente légendaire avec les tailleurs d'habits. Si bien que dans leurs articles de corporation, il est interdit aux maitresses couturières d'épouser un tailleur d'habit. Contrairement aux robes des grands habits qui demeurent la chasse-gardée des tailleurs de par leur ajustement de corps à baleines, il est permis pour les couturières de fabriquer la nouvelle mode du manteau.
Madame la duchesse du Maine, Artiste Henri Bonnart, fin XVIIe siècle, Collection du Château de Versailles. |
Dame en habit garni d'agréement Artiste inconnu Vers 1685-1690 Collection du Rijksmuseum |
La mode du manteau fait varier les textures et couleurs entre la jupe, le manteau et son retroussé.
esquisse d'une femme agenouillée Artiste Antoine Watteau Non daté Source: Artnet |
Sous l'article manteau dans le Dictionnaire de l'Académie française de 1694, on peut lire «les femmes appellent aussi manteau, une espèce de robe plissée qu'elles portent avec une ceinture ». Avec le manteau, le vêtement de soutien de l'époque, qui s'appelle alors corps baleiné (aujourd'hui souvent confondu avec le corset), devient un sous-vêtement et ce de façon définitive dans la garde-robe quotidienne des bien nantis. Munir une robe de baleines est un processus long et coûteux qui perdurera pour les Grands Habits de cour. Le manteau, contrairement à ces derniers, permet de faire varier plus facilement la pièce extérieure. Le corps à baleine reste un accessoire essentiel mais indépendant du manteau et recouvert par celui-ci.
Définition du mot manteau Dictionnaire de l'Académie Française, dédiée au Roy 1694 Tome 2, M-Z Page 21 Source: Gallica |
D'où vient ce terme, manteau?
Le terme manteau fait son apparition dans le vocabulaire français, ou devrais-je dire proto-français, dès le XIIe siècle et fait référence à l'idée de couvrir. Au départ, le manteau est synonyme de cape, à partir de 1670, il s'agit aussi de la dernière pièce de vêtement que les dames enfilent pour leur toilette lors de l'habillement. Le manteau des femmes de la fin du règne de Louis XIV est, la plupart du temps, ouvert en avant, laissant voir soit le corps baleiné ou bien une pièce d'estomac, qui recouvre galamment l'ouverture laissée par le manteau. Le Mercure Galant, premier magazine de mode et revue officielle de spectacles, constate en 1678 que:
« on n'y met presque plus que ce qui s'appelle des manteaux. Les robes ne sont que pour les visites de cérémonies ou pour celles qu'on rend aux gens d'un rang plus élevé que celui que l'on tient, & on ne s'en sert ni pour voir familièrement ses amies, ni pour les parties de promenade.»
Pages 380 et 381 Mercure Galant, Quartier de Janvier 1678 Tome 1 Source: Google Books |
Femme de qualité en déshabillé d'été Artiste Jean Dieu de St-Jean 1683 Source: Gallica |
Femme de Qualité en déshabillé d'étoffe siamoise Jean Dieu de St-Jean 1687 Source: Gallica |
La coupe du manteau est complexe, de même que la façon de le porter. Il est formé de plis larges au dos (parfois cousus, parfois seulement placés) ainsi que d'un savant retroussement de cette abondance de tissu sous la ceinture qui permet de voir l'envers du manteau. Si le Grand Habit se caractérise par l'uniformité des tissus de la jupe apparente et du corsage, le manteau, lui, varie les motifs et les couleurs des tissus entre le manteau, son revers, la jupe et la pièce d'estomac. C'est dans la décennie de 1680 qu'apparaît le terme falbala, désignant à l'origine une bande plissée régulièrement disposée sur la jupe qui la décore.
Femme de qualité en Stenkerke et falbala Artiste Jean Dieu de St-Jean 1693 Source: Gallica |
Louise Benedicte de Bourbon, Duchesse du Maine Artiste Jean Mariette XVIIe-XVIIIe siècle Collection du Château de Versailles |
Études de coiffure à la Fontange Artiste Bernard Picart 1703 Collection du Rijksmuseum |
Cette coiffure en hauteur et dentelles, visible sur plusieurs des portraits présentés jusqu'à présent est caractéristique des dernières décennies du règne de Louis XIV et s'appelle la Fontange. Selon la légende, Mlle de Fontange aurait improvisé cet arrangement de cheveux lors d'une partie de chasse royale en 1679. Après une chute ou simplement une chevauchée haletante, elle retrouve décoiffée. Elle aurait remonté ses cheveux sur le dessus de sa tête avec un simple ruban afin de poursuivre l'activité équestre. Cela aurait tellement plu au Roi-Soleil qu'il lui aurait demandé à passer la soirée coiffée de la sorte. Le lendemain toutes les dames de la Cour arboraient déjà cette coiffure en hauteur, voulant plaire à Sa Majesté Louis XIV. Informations tirées du livre «Histoire des modes et du vêtement, du Moyen-Âge au XXIe siècle».
Je n'ai pas trouvé de sources primaires par rapport à cette légende, qui a plusieurs versions. Dans certaines, c'est une jarretière qui fait office de ruban. Dans d'autres, une brindille s'est mêlée aux cheveux, permettant de faire prendre de la hauteur à la coiffure. Cette légende montre avec quelle facilité une nouvelle mode pouvait être créé à la cour de Versailles.
Le séjour de Mlle de Fontange à la cour fut très bref, de 1679 à 1680 avant de mourir en juin 1681. Elle fut la dernière maitresse du Roi-Soleil avant qu'il ne se marie avec Mme de Maintenon. Les indications que j'ai trouvées jusqu'à présent ne permettent pas de savoir si Mlle de Fontange elle-même a su qu'elle avait engendré une coiffure de mode.
La Fontange et le manteau sont possiblement les éléments de mode pour lesquels nous avons le plus de documentation en Nouvelle-France. En plus d'apparaître en peinture dans deux ex-voto peints en Nouvelle-France, celui de Mme Riverin et celui de l'enfant malade du musée de Vaudreuil-Soulanges, la coiffure à la Fontange est aussi nommée dans les nouveaux voyages de M. Baron de Lahontan dans Amérique Septentrionale publiés en 1703. Ce dernier décrit le zèle des curés de la Nouvelle-France qui refusent la communion aux femmes des nobles pour une simple Fontange de couleur.
Détail de l'ex-voto de Madame Riverin Date 1703 Auteur Anonyme Collection du Musée National des Beaux-Arts du Québec Crédit photo: Joseph Gagné |
Ex-voto de l'enfant malade Date 1697 Artiste Anonyme Collection du Musée régional Vaudreuil-Soulanges |
D'ailleurs, les écrits de cette période en Nouvelle-France qui parlent de vêtements féminins en cette fin du XVIIe siècle proviennent principalement d'ecclésiastiques qui se plaignent de l'indécence vestimentaire féminine.
Monseigneur de Laval utilisa sa plume pour exprimer son irritation envers les femmes de sa paroisse qui paraissaient dans l'enceinte de l'église trop dénudées à son goût. Je cite un extrait de son Mandement contre le luxe et vanité des femmes et filles dans l'Église de 1682:
«De quels crimes ne sont pas punissables et de quels punitions ne doive pas attendre celles qui portent cet appareil fastueux jusque dans nos églises, paraissant dans ces lieux consacrés à la prière et à la pénitence avec des habits indécents, faisant voir des nudités scandaleuses de bras, d'épaules et de gorges, se contentant de les couvrir de toile transparente, ce qui sert bien souvent à donner plus de lustre à ces nudités honteuses »
Portrait de Madame Helyot Artistes: Gérard Edelinck, Claude François et Jacques Galliot 1685 Source Gallica |
Monseigneur de Laval, premier évêque de Québec, rêvait probablement de faire de toutes les femmes de la colonie des femmes aussi pieuses et dévôtes que Madame Heylot. Malheureusement pour lui, la coquetterie et la vanité ne sont pas restées en France et se sont propagées au travers de la colonie.
Dame se promenant à la Campagne Artiste Jean Dieu de St-Jean Vers 1675- 1683 Source: Gallica |
Le décolleté du manteau, dont vraisemblablement se plaint l'évêque Monseigneur de Laval, est variable d'une gravure à l'autre. Certaines, comme celles-ci, montrent un décolleté d'épaules qui a sans doute fait tiquer plusieurs ecclésiastiques comme Monseigneur de Laval.
Dame en habit de ville Artiste: Jean Dieu de St-Jean Fin XVIIe siècle Collection du Musée Carnavalet |
Il existe quelques rares exemplaires de manteaux dans les musées, cependant ils sont d'autres nationalités que française pour ceux que je connais et relativement tardifs de la période.
Manteau et jupe assortis origine britannique Artiste inconnu Fin XVIIe siècle Collection MET, metropolitan museum of art |
Manteau, jupe et pièce d'estomac assortis origine italienne Artiste inconnu Vers 1700 Collection LACMA, Los Angeles County Museum of Art |
Manteau et jupe assortis origine britannique Artiste inconnu vers 1708 Collection MET, metropolitan museum of art |
Pour cette mode, j'ai trouvé beaucoup plus de portraits et gravures de foules avec des dames portant un manteau que la précédente, la robe de cour.
Louis XIV touchant les malades des écrouelles Artiste Jean Jouvenet Non-daté Collection de l'Abbatiale de Saint-Riquier Source: Wikimedia Commons |
Vue perspective du Bosquet de la Galerie des Antiques Artiste Jean-Baptiste l'Ainé Martin 1688 Collection du Château de Versailles |
J'adore ces vues en perspectives avec plein de petits détails que je vous partage avec plaisir.
Détail de Vue perspective du Bosquet de la Galerie des Antiques Artiste Jean-Baptiste l'Ainé Martin 1688 Collection du Château de Versailles |
Détail de Vue perspective du Bosquet de la Galerie des Antiques Artiste Jean-Baptiste l'Ainé Martin 1688 Collection du Château de Versailles |
Certaines dames, comme celle-ci en bleu et violet, préfèrent garder le Grand Habit lors de leur promenade dans les jardins autour de Versailles.
Détail de Vue perspective du Bosquet de la Galerie des Antiques Artiste Jean-Baptiste l'Ainé Martin 1688 Collection du Château de Versailles |
Le souci du détail des costumes me fascine, surtout pour une oeuvre de paysage. Le revers noir de ce manteau rouge crée un effet dramatique à mon avis.
Détail de Vue perspective du Bosquet de la Galerie des Antiques Artiste Jean-Baptiste l'Ainé Martin 1688 Collection du Château de Versailles |
Le manteau apparait aussi dans des peintures d'évènements extérieurs comme cette visite de chantier de Marseilles:
Le marquis de Seignelay et le duc de Vivonne visitent la galère Réale dans l'Arsenal de Marseille Artiste Anonyme Vers 1677 Collection du Château de Versailles |
Quelques dames se sont jointes pour visiter la galère:
Détail de Le marquis de Seignelay et le duc de Vivonne visitent la galère Réale dans l'Arsenal de Marseille Artiste Anonyme Vers 1677 Collection du Château de Versailles |
D'autres gravures perspectives montre des promeneuses habillées de manteaux.
''Vue de la fontaine du point du jour (cabinet des combats d'animaux sud) dans les jardins de Versailles'' Artistes: Dominique Girard et Jean Raymond 1714-1715 Collection du Château de Versailles |
Détail de ''Vue de la fontaine du point du jour (cabinet des combats d'animaux sud) dans les jardins de Versailles'' Artistes: Dominique Girard et Jean Raymond 1714-1715 Collection du Château de Versailles |
''Vive Paris on a tout a souhait'' gravure de Nicolas Guérard XVIIe siècle Collection du Musée Carnavalet |
''Parguyé je suis François et non pas Turcque..'' gravure de Nicolas Guérard XVIIe siècle Collection du Musée Carnavalet |
Le retroussement du bas du manteau est plus brouillon pour les femmes du commun que ceux des dames de qualité mais l'imitation est visible.
''Tu as menti vilain hatabas'' gravure de Nicolas Guérard XVIIe siècle Collection du Musée Carnavalet |
''Diverses petitte Figure des Cris de Paris'' gravure de Nicolas Guérard XVIIe siècle Collection du Musée Carnavalet |
Certaines coiffures ressemblent plus à la Fontange que d'autres.
''L'embaras de Paris'' gravure de Nicolas Guérard 1er quart XVIIIe siècle Collection du Musée Carnavalet |
À votre tour maintenant de trouver des manteaux de femme sur cette gravure montrant les embouteillages de Paris sur le Pont-Neuf au début du XVIIIe siècle!
Terminons ce tour d'horizon de la mode des manteaux avec un portrait de la fin de cette période.
Portrait de Mme Monginot et son époux Artiste Jean-François Troy Vers 1710-1713 Collection du Musée d'Art de Nantes |
Ce manteau est sobre, composé de velours marron aux revers également de velours noir visible à l'encolure, aux manches.
On peut dire que la mode du manteau durera pendant une quarantaine d'années, jusque vers les années 1710.
Comme nous le verrons dans le prochain article, le manteau évoluera en la prochaine mode: la robe volante, dans ses débuts appelée manteau volant.
Amour paisible Artiste Antoine Watteau 1718-1719 Collection du Musée du Château de Charlottenburg Source: Universalis.fr |
Même si je présente les modes de façon chronologique, il faut se rappeler que l'émergence d'une nouvelle mode au détriment d'une autre est un processus lent qui occasionne des périodes de chevauchements comme dans ce portrait dAntoine Watteau où le manteau côtoie la prochaine mode, la robe volante.
Bonjour ! J'ai lu votre article avec beaucoup d'intérêt, j'apprécie beaucoup toute la prudence de votre recherche, c'est une très belle démarche de votre part et j'ai d'autant plus de plaisir à absorber toutes les pépites que vous transmettez ici ! Merci beaucoup :) Une grande amatrice de costume historique, mais hélas avec beaucoup à rattraper ^^
RépondreSupprimerJe me demande si l'expression déshabillé ne vient effectivement pas de l’opposition avec la vêture d'apparat que l'on porte pour les grands événements ou le soir. Peut-être est-ce en rapport avec la tenue d'intérieur que l'on passait sur son corps vite-fait le matin et qui a fini par sortir dans la rue, un peu comme les robes volantes?
RépondreSupprimerÇa été mon hypothèse de départ mais la graphie du Mercure Galant me fait douter qu'au départ il était plutôt nommé des habillés et tantôt transformé en déshabillés. Il faudrait approfondir la question.
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