vendredi 22 janvier 2021

Des Filles du Roy à la Conquête, chapitre 2: Naissance du Grand Habit, 1663 à 1670

Bonjour,


Dans ce second chapitre, nous commencerons à la mode des grands et des nobles, celle qui dicte les coutures des couturières, de façon chronologique à la période qui nous intéresse. Notez que plus la période est ancienne, plus il est difficile d’avoir des portraits variés pour la représenter. C’est pourquoi la première mode que je vous présente n’est illustrée que par des dames de haute noblesse. Je reviendrais sur la mode des paysannes et des habitantes lors du dernier chapitre de cette série.



La mode qui a encore cours en 1663 est celle qui a débuté à la Renaissance. C'est celle de la valorisation du torse et du visage par la géométrisation des vêtements. Plus simplement dit, les vêtements de support rigide, que nous appelons aujourd'hui corset font leur apparition pour les femmes.


Scène de bal à la cour des Valois
Artiste Anonyme
Vers 1580
Collection du Musée des Beaux-Arts de Renne

Dans les débuts du corps de cotillon et du corps de cotte, la rigidité vestimentaire féminine est le miroir de celle masculine. Les femmes et les hommes ont des vêtements qui leur donnent une forme de triangle inversé à leur torse, les hommes par leur pourpoints et les femmes par les premiers corps baleinés. Le but de baleiner ainsi le torse est d'établir une posture droite, digne et noble. D'ailleurs, l'expression « avoir du corps » qui signifie avoir de la consistance n'est pas loin de la volonté d'ajouter un corps baleiné au torse d'une femme afin de lui donner de la rigidité et de la prestance. Dans le dictionnaire de Antoine Furetière de 1690, le mot corps donne lieu à de multiples définitions dont celle-ci:


Définition de corps par rapport aux habits
«...recouvrir cette partie du corps qui va du cou jusqu'à la ceinture...»
Dictionnaire universel, contenant généralement tous les mots françois tant vieux que modernes, & les termes de toutes les sciences et arts
Antoine Furetières
1690

Cette mode de rigidifier le torse des femmes a donc débuté à la fin du XVIe siècle en France.


Elisabeth de France
Artiste Frans Pourbus le Jeune
1615
Collection du musée des Beaux-Arts de Valenciennes



Selon le livre «Histoire des modes et du vêtement, du Moyen-Âge au XXIe siècle», la silhouette au début XVIIe siècle résulte en une superposition de vêtements, chacun ayant une fonction particulière. La chemise est le seul vêtement qui touche à la peau, par conséquent, le seul à requérir à être souvent lessivé ou lavé. Sur la chemise est porté le cotillon, espèce de jupon, et le corps de cotillon, qui est ce que nous nommons le corset. Par-dessus cette première épaisseur de vêtement est placé une «cotte», composée d'une jupe et d'un «corps de cotte». La «robbe» termine l'habillement. Il s'agit d'un vêtement de dessus composé lui aussi de deux pièces, le «bas de robbe», autrement dit une jupe d'apparat et le «corps de robbe» attachés ensemble par des aiguillettes. La «robbe» est ouverte en haut et en bas, ce qui permet un jeu de contrastes distingués entre la «robbe» et la «cotte», toutes deux visibles...

Cette superposition de vêtements est documentée par cette rare poupée de la période qui est exposée du Musée Livrustkammaren de Stockholm.


Poupée
Artiste Anonyme
vers 1590
Collection du Musée Livrustkammaren





La mode se modifie au courant du XVIIe siècle, les trois épaisseurs qui recouvraient le torse n'en deviennent qu'une, qu'on appelle alors corps de robe. Les femmes continuent cependant d'avoir de multiples épaisseurs de jupes et jupon, mais le nom cotte n'est plus couramment utilisé pour définir la jupe de dessus, seulement parfois retrouvé dans les textes burlesques de l'époque du milieu et de la fin du XVIIe siècle.



La mère de Louis XIV, Anne d'Autriche, portait cette mode comme le montre le portrait ci-dessous:

Anne d'Autriche, reine de France et ses enfants
Artiste Anonyme
XVIIe siècle
Collection du Château de Versailles


Les enfants de ce portrait sont respectivement Louis XIV en doré à gauche (il était déjà disposé à devenir le Roi-Soleil) et son frère Philippe d'Orléans, en blanc à droite.

Comme présenté dans le dernier article, 1663 et l'arrivée des Filles du Roy a été choisi pour date de départ de cette série.  Nous arrivons enfin à cette période. En 1663, cela fait deux ans que Mazarin, l'ancien précepteur du roi Louis XIV est décédé, laissant le Roi Soleil régner seul pour la première fois. Une décision qu'il prend durant ces premières années de règne sans conseiller principal est de prendre le contrôle de la Compagnie de la Nouvelle-France afin d'en faire une province royale. C'est dans cette optique que Louis XIV met en place la politique de peuplement des Filles du Roy.


 En 1663, cette mode d'un corps de robe, portée directement sur la chemise et assorti à une jupe d'apparat est encore celle qui a cours. Voici quelques exemples de la deuxième moitié du XVIIe siècle.

 

 

Anne Geneviève de Bourbon, duchesse d’Estouville et de Longueville.
 Atelier des frères Beaubrun (1630-1675)
XVIIe siècle
Collection du Château de Versailles


Portrait d'une dame
Attribuée à Charles Beaubrun
XVIIe siècle
Collection privée
Mis aux enchères par Sotheby's

Je souhaite partager une observation par rapport à la poitrine et décolleté des dames de cette période de mode. Malgré une ligne de corsage très basse sur la poitrine, il y a très peu de galbe de sein de visible (contrairement à beaucoup de films d'époque). À mon avis, cela est dû à l'utilisation du corps de robe qui, au lieu de remonter le sein vers le haut pour en rehausser le galbe, il le supporte dans une légère compression horizontale, peut-être même que le sein est légèrement repoussé vers le bas, laissant un galbe plus discret.



Françoise Athénaïse de Rochechouart, comtesse de Montespan
Artiste Anonyme 
XVIIe siècle
Collection du Château de Versailles

Jeune fille inconnue
Artiste Louis le Père Elle
Vers 1658-1660
Collection du Château de Versailles


En 1663, commence l’arrivée des Filles du Roy en Nouvelle-France, toujours dans l'optique d'en faire une province de France. Ces filles sont, le plus souvent, des orphelines de la région de Paris ou de La Rochelle. En l’échange d’une dot fourni par le Roy, elles font la traversée de l’Atlantique pour épouser un homme dans la Vallée du St-Laurent et y fonder une famille. Ainsi commence le peuplement définitif de la colonie. C’est plus de 700 femmes qui participent à cette aventure en 10 ans. À partir de l’établissement des Filles du Roy il y a une présence affirmée et assidue de femmes en Nouvelle-France.


Portrait de Elizabeth D'Orléans, duchesse de Guise et de Joÿeuse
Artiste Anonyme
XVIIe siècle
Collection du Château de Versailles


Françoise de Neufville, duchesse de Chaunes
Artiste Anonyme
Seconde moitié du XVIIe siècle
Collection du Château de Versailles

Madeleine-Charlotte d'Albert, duchesse de Foix
Artiste Anonyme
vers 1649-1665
Collection du Château de Versailles

Pendant cette période, à Versailles, l’habit de cour se définit, hérité des modes du début du 17ième siècle décrites plus haut. Cet habit est composé d’un jupon de dessous, un corsage baleiné muni de manches portées directement sur la chemise et d’une jupe d’apparat taillée dans le même tissu que le corsage. Autrement dit, ce que nous appelons aujourd'hui un corset est visible et est porté par-dessus la jupe. La coiffure de cette période de caractérise par une raie nette qui sépare les cheveux en deux gros bouquet de chaque côté de la tête formé de boucles serrées et coupées courts. 


Henriette-Anne d'Angleterre, duchesse d'Orléans, dite Madame (1644-1670)
 Artiste Anonyme de l'école Pierre Mignard,
3e quart 17e siècle,
Collection du Château de Versailles

Toujours selon le livre «Histoire des modes et du vêtement, du Moyen-Âge au XXIe siècle», une berthe est un ruban de dentelle fixé au niveau du décolleté. Malheureusement, la mention la plus récente que j'ai trouvé dans les dictionnaires anciens grâce au ARTFL Project est dans le dictionnaire de Littré de 1873, soit 200 ans après la période qui nous intéresse aujourd'hui. Je ne suis pas certaine si la garniture de dentelle du décolleté au XVIIe siècle avait un nom particulier au siècle des Filles du Roy. Comme on peut voir cependant une garniture de dentelle sur ce portrait de Henriette d’Angleterre, qui fut la belle-sœur de Louis XIV. On peut aussi voir une différence de frisure entre les différents portraits. Certaines boucles sont beaucoup plus fines et serrées, comme sur ce portrait. D'autres sont plus larges et souples. Cependant, les cheveux restent séparés par une raie nette.  Cet agencement de vêtement donnera naissance à l'Habit de Cour ou Grand Habit, qui constituera le costume de cour français jusqu'à la fin de la monarchie.

 

Portrait de Marie-Thérèse d’Autriche, Reine de France,
Artistes Charles et Henri Beaubrun,
 3e quart XVIIe siècle,
 Collection Château de Versailles


Voici le portrait de la reine Marie-Thérèse d’Autriche, femme de Louis XIV à la fin du 17ième siècle en Grand Habit. Son appartenance à la royauté se voit par le tissu orné de la fleur de lys royale qui compose son corps de robe et sa jupe. Une berthe de dentelle est fixée à son décolleté à l’aide d’une broche de pierres précieuses. La pointe du corsage, les manches et le manteau sont doublés d’hermine, un autre symbole de la royauté, cette caractéristique fourrure blanche à taches noires.


Je me permets de faire une digression temporelle à cet article pour montrer les Grands Habits des reines qui ont succédées à Marie-Thérèse d'Autriche.



Portrait de Marie Leszczynska, reine de France,
Artiste: François Stimémart d'après Van Loo, Jean-Baptiste (peintre),
1726 (XVIIIe siècle),
 Collection du Château de Versailles

Portrait de Marie-Antoinette, reine de France,
Artiste: Jean-Baptiste-André Gautier-Dagoty,
1775,
Collection du Château de Versailles

 

 

Pour ces portraits officiels, les reines portent un tissu de velours recouvert de fleur de lys dorées, symbole de royauté. Marie Lesinska est la femme de Louis XV, soit l'arrière-petit-fils de Louis XIV. En dessous, se trouve la célèbre Marie-Antoinette, femme de Louis XVI qui est lui le petit-fils de Louis XV. Entre Louis XIV et Louis XVI, six générations les séparent malgré qu'ils ne soient que trois rois consécutifs. Comme mentionné plus tôt, le grand habit est devenu l’habit de cérémonies à la Cour de France. Cela ne veut pas dire pour autant que la silhouette ne s’est pas actualisée avec le temps et la mode. Cependant, les éléments caractéristiques du grand habit sont restés: le corps de robe est apparent et  porté sur une jupe fait du même tissu. Les manches du corps laissent voir la chemise d'une blancheur éclatante. À mon avis, ce qui différencie le plus les portrait en habit de cour de ces trois reines, ce sont leurs coiffure, petite et près de la tête pour Marie Lezinska, large bouclée et encadrant le visage pour Marie-Thérèse d'Autriche et atteignant des sommets astronomiques pour Marie-Antoinette. L’agencement de manches de dentelles fines mimant la chemise n’apparaissent que sur des robes de cour ou de les Grands Habits, selon mes recherches.


Tout ceci est bien beau, mais comment peut-on vraiment savoir si les vêtements représentés dans les portraits étaient réellement portés au quotidien?

Sans être infaillible, mon conseil pour s'assurer que les vêtements étaient vraiment portés est d'abord de regarder dans les collections muséales pour des pièces de vêtements de la même période. Il y a quelques examples de corps de robe dans le livre «Patterns of Fashion 5, the content, cut, construction and context of bodies, stays hoops and rumps c. 1595-1795».

Ensuite, j'aime bien regarder des tableaux d'époque où le vêtement ou la personne n'est pas l'attraction principale, comme lors de représentation d'évènements ou de lieux. Comme par exemple cette foule illustrant le déplacement du roi à Paris:


Marche du Roy accompagné de ses gardes passant sur le pont neuf et allant au Palais
Graveur: Jan van Huchtenburgh, d'après Adam Frans van der Meulen
Avant 1690
Source: Wikimedia Commons

Au premier plan à droite se trouve une dame en grand habit pour l'occasion.

Détail non coloré de
Marche du Roy accompagné de ses gardes passant sur le pont neuf et allant au Palais
Graveur: Jan van Huchtenburgh, d'après Adam Frans van der Meulen
Avant 1690
Source: Gallica


Porter le Grand Habit devient une obligation devant le Roi Soleil lors de cérémonies officielles comme illustré par cette gravure:

Louis XIV et les dames de la Cour et de sa famille
 Anonyme français,
 1667, 
 Collection du Château de Versailles 



Dans le cas des modes plus anciennes, il y a moins de ce type de tableaux de foules. Je termine mon article avec un tableau qui présente à la fois la mode du grand habit de femme et de la mode dont il sera mention dans le prochain chapitre de cette série: le manteau.

Louis XIV devant la grotte de Téthys
Artiste Anonyme
Après 1670
Collection du Château de Versailles



La dame en rose et blanc à l'extrême droite du tableau porte un habit de cour. Pour ce qui est du retroussement particulier du manteau, visible au centre chez la dame de dos en noir et jaune, j'y reviendrais en détails dans mon prochain article.

Mlle Canadienne

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