mercredi 27 septembre 2023

Question de vocabulaire: casaquin, vêtement à plis ou sans plis?


Bonjour,


Depuis plusieurs années je m'intéresse aux vêtements du XVIIIe siècle et je dois avouer qu'aucun mot ne m'a autant embrouillé l'esprit que le mot casaquin. Initialement pièce de vêtement masculine semblable à une cape munie de manches, le mot a commencé à désigner une pièce de vêtement féminine au XVIIIe siècle.

Commençons par montrer ce que les musées et commissaires-priseurs appellent casaquin de nos jours.


Casaquin
Entre 1725 et 1750
Collections du Musée Galliera

Casaquin
Entre 1725 et 1750
Collections du Musée Galliera



Casaquin
Entre 1710 et 1730
Collections du Musée Galliera


Casaquin
1725-1750
Collections du Musée Galliera
Casaquin
Vers 1740
Couteau-Bégarie et associés

Casaquin
Vers 1740
Couteau-Bégarie et associés




Casaquin à plis Watteau en broché et indienne de traite
Époque Louis XV
Villa Rosemaine

 

 

Casaquin de Dame en Lampas bleu Nattier
Vers 1740
Villa Rosemaine




Casaquin à la négligé en indienne française
vers 1760
Maison de vente aux enchères Richard

Casaquin à la négligé en indienne française
vers 1760
Maison de vente aux enchères Richard

Casaquin
Vers 1740-1750
Musée Galliera



Casaquin de mexicaine
Époque Louis XVI
Couteau-Bégarie et associés



Ensemble casaquin et jupon assorti
vers 1670 (erreur de frappe?)
Commissaire priseur Thierry de Maigret


Casaquin à basques et plis Watteau
Vers 1770-1780
Commissaire-priseur Tessier Sarrou & associés



Après avoir rassemblé ces photos de casaquins, j'ai voulu revisiter la citation la plus connue en matière vestimentaire féminine de Jean-Baptiste d'Aleyrac, un officier militaire français qui servit en Nouvelle-France durant la guerre de Sept Ans, entre 1755 et 1760:  

« Il n'y a pas de patois dans ce pays. Tous les Canadiens parlent un français pareil au nôtre. Hormis quelques mots qui leur sont particuliers, empruntés d'ordinaire au langage des matelots, comme amarer pour attacher, hâler pour tirer non seulement une corde mais quelque autre chose. Ils en ont forgé quelques-uns comme une tuque ou une fourole pour dire un bonnet de laine rouge (dont ils se servent couramment). Ils disent une poche pour un sac, un mantelet pour un casaquin sans pli (habillement ordinaire des femmes et des filles), une rafale pour beaucoup de vent, de pluie ou de neige; tanné au lieu d'ennuyé, chômer pour ne manquer de rien; la relevée pour l'après-midi; chance pour bonheur; miette pour moment; paré pour être prêt à. L'expression la plus ordinaire est : de valeur, pour signifier qu'une chose est pénible à faire ou trop fâcheuse. Ils ont pris cette expression aux sauvages. »


Hors, les vêtements d'époques montrés comme casaquins n'ont pas tous des plis, qu'ils soient aux hanches ou au dos. À quoi l'officier d'Aleyrac peut-il bien faire allusion lorsqu'il réfère au casaquin? Pourquoi précise-t-il que le mantelet est un casaquin sans plis? Pourquoi se hâte-t-il de préciser qu'il s'agit de l'habillement ordinaire des femmes et des filles? Se pourrait-il que dans son esprit, tous les casaquins sont munis de plis?


Pourtant,  mes recherches antérieures indiquaient qu'un casaquin était une pièce de vêtement féminin sans plis, «fort juste au corps» et qui ne descend que sur les hanches (dans le dictionnaire français-flamand de François Halma, 1733): 


Le grand dictionnaire François-Flamand de François Halma
1733

Cette définition contredit toutefois une illustration du graveur Antoine Hérisset, publiée dans les mêmes années, qui montre des plis, aujourd'hui dit à la Watteau, présentant ce que j'appellerais plutôt une demi-robe ou un pet-en-l'air. Est-ce que le casaquin de M. d'Aleyrac serait en réalité un pet-en-l'air? 

Les casaquins
Vers 1725-1735
Collections Rijksmuseum




J'ai donc décidé de chercher d'autres références pour le mot casaquin. Y a-t-il eu une évolution dans l'utilisation du mot et pourrais-je le déterminer? Dans quel trou de lapin m'étais-je encore perdue?


 Les dictionnaires d'époque nous indiquent ce mot comme étant un diminutif de la casaque. La définition la plus complète de casaque que j'ai trouvée est celle du dictionnaire d'Antoine Furetière publié en 1690: 


CASAQUE. Subst. fem. Manteau qu'on met par-dessus son habit, & qui a des manches où on fourre les bras. Les casaques sont commodes pour les gens de cheval. Ce mot vient de Carracalla Empereur, lequel étant à Lyon, fit habiller tous ses gens de cette manière de vêtement. On disait autrefois caraquin au lieu de casaquin, & on le dit encore à présent  en Bassigni. D'autres croient que ce mot vient d'un habillement de Cosaques, & qu'on a dit casaque par corruption, comme hongreline des Hongrois.  Covarnuvias le fait venir de l'Hebreu casab,  qui signifie couvrir: d'où a été tiré le Latin casa, cabane, comme on dit tugurium, à tegendo. On appelle casaque de Mousquetaires, de Gardes du corps, de Gendarmes, les manteaux de cette sorte portés par les cavaliers de ces compagnies, qui ont des marques & des broderies particulières pour les distinguer les uns des autres. Il a pris la casaque, ou,  Il a rendu la casaque de Mousquetaire, c'est-à-dire, Il est entré au service ou Il a quitté le service de Mousquetaire.

On dit figurément, qu'un homme a tourné casaque, pour dire, qu'il a changé de parti. Ce Prince étranger s'était mis du côté du Roy, mais depuis il a tourné casaque. Les troupes auxiliaires sont sujettes à tourner casaque.

CASAQUIN. subst. masc. Petite casaque. Il n'est en usage qu'en cette phrase proverbiale, On lui a donné sur le casaquin, pour dire, On l'a battu. 

 

Dictionnaire Universel
Antoine Furetière
1690

La première compagnie des Mousquetaires, que commandait le célèbre D'Artagnan, fut créée par Louis XIII au début du XVIIe siècle, près de 70 ans avant la parution de ce dictionnaire. Il m'apparait clairement que le type de vêtement mentionné ici n'est pas un vêtement féminin mais masculin de type cape à manche.


En 1710, le dictionnaire de Pierre Richelet nous indique que le mot casaquin ne réfère qu'au proverbe déjà énoncé par Antoine Furetière, comme si la cape à manche était passée de mode:

Définition de casaquin
Nouveau dictionnaire françois contenant généralement tous les mots anciens et nouveaux de la langue françoise
Pierre Richelet
1710

Un peu plus tard, en 1718, parait dans le Dictionnaire comique, satirique, critique, burlesque, libre et proverbial de Philibert Joseph Le Roux une définition du casaquin renvoyant au monde du théâtre et de la comédie. Ce texte aussi donne à mon sens l'impression que le mot casaquin est vieilli pour l'époque, par la comparaison qu'il en fait avec le pourpoint, pièce de vêtement désuète au début du XVIIIe siècle: 


Définition de casaquin
dictionnaire comique, satirique, critique, burlesque, libre et proverbial
Philibert Joseph Le Roux
1718




Cela est confirmé dans le dictionnaire de l'Académie Française qui précise dans sa définition (disponible ici)  du mot casaquin de 1718 que le mot n'est plus maintenant en usage.

En 1731, le Mercure de France, dans une historiette en rimes, évoque un casaquin féminin que la femme de l'histoire retire précipitamment pour enfiler «corset de basin et robbe de blanc satin» afin de séduire le narrateur. Il s'agit de la première référence à une pièce de vêtement exclusivement féminine pour le mot casaquin dans mes recherches. Ce que je trouve quand même étrange, c'est que cette définition exclusivement féminine apparaît seulement deux années après la première mention (à ma connaissance) du mot pet-en-l'air désignant une demi-robe.


Extrait du Mercure de France
Édition novembre 1731



Hormis la gravure de Antoine Hérisset présentée plus haut, je n'ai pas trouvé d'autres références au mot casaquin durant la décennie 1730, ni même 1740.


Dans cette définition de 1752, le mot casaquin semble revêtir une notion générale avec l'ajout de la phrase «On le dit aussi d'un habillement court et mauvais». Je crois ici que le mot «mauvais» est un antonyme de qualité. Un habillement de qualité serait un habillement de cour ou du moins, un habit dont le port en public ne nuit pas à la réputation du porteur. Parce qu'on parle d'habillement court, j'aurais tendance à croire que cette définition désigne un casaquin féminin.

Définition de casaquin
Dictionnaire françois et latin
par la compagnie des libraires associés
1752


Une seconde définition est présente dans ce dictionnaire, et évoque une partie anatomique de certains animaux comme les limaces (je vous épargne la multitude de définitions de casaquins animaliers que j'ai trouvées dans mes recherches). Dans un supplément de ce dictionnaire, également paru en 1752, une troisième définition est invoquée, beaucoup plus intéressante puisqu'elle renvoie à une pièce de vêtement qui m'était inconnue: l'apollon.



Définition de casaquin
Supplément au dictionnaire universel françois et latin
vulgairement appelé dictionnaire de Trévoux
Par la compagnie des libraires associés
1752

«APOLLON, s.m. Espèce de petite robe de chambre qui ne vient qu'à la moitié des cuisses. On couche avec l'apollon en hiver, pour lors il est fait d'étoffe, & même quelques fois fourré. En été, on les fait de taffetas, de toiles des Indes, ou quelque autres étoffe de soie légère. On en fait même de toile blanche, & les Dames s'en servent pour se peigner & se coëffer, comme elles faisaient autrefois avec les peignoirs. Ceux qu'elles portent pendant le jour s'appellent encore cazaquin ou pet-en-l'air. Les hommes portent aussi des apollons, au lieu de Robes de Chambres, parce que leur petitesse les rends plus commodes.»




Première partie de la définition de l'apollon
Deuxième partie de la définition de l'apollon

 

Supplément au dictionnaire universel françois et latin 
vulgairement appelé dictionnaire de Trévoux
Par la compagnie des libraires associés
1752

 

Cette définition est à la fois très agréable car assez longue et descriptive et à la fois source de nouvelles questions. Doit-on comprendre que casaquin et pet-en-l'air sont des synonymes, ou seulement deux types de vêtements semblables, l'«habillement court et mauvais» de la précédente définition? Je ne croyais pas rencontrer une mention de vêtements faits en toiles des Indes durant la période de prohibition de celles-ci, encore moins dans un livre publié à Paris avec l'approbation du Roy. Serait-ce une preuve indirecte que les lois en matière textiles étaient contournées dans la métropole?


En 1758, le nouveau dictionnaire de Pierre Richelet modifie la sempiternelle définition de casaque, en la présentant comme une pièce de vêtement intermédiaire entre le justaucorps et le manteau. De plus le casaquin semble lui presque essentiellement féminin et est défini comme une espèce de demie robe. Dans cette définition, casaquin et pet-en-l'air seraient donc bel et bien synonymes. 


Définitions de casaque et casaquin,
Dictionnaire de la langue françoise ancienne et moderne avec observations de critiques de grammaire et d'histoire, 
Pierre Richelet,1758 

Mon prochain extrait vient d'un plaidoyer pour la réintroduction des toiles peintes d'Inde et la réutilisation de ce type de textile dans différentes pièces vestimentaires. Une robe en indienne peut ainsi selon l'auteur se recycler en jupon, lequel devient casaquin, lui-même recyclé comme mantelet, qui à son tour donne un fichu ou mouchoir. 


Extrait de Paradoxes intéressans sur la cause et les effets de la révocation de l'Édit de Nante, Jean Novi de Caveirac, 1758 

Dans cette définition de 1761, la casaque n'est plus associée au manteau mais au surtout, un vêtement ressemblant au justaucorps mais plus ample. Le casaquin est ici un synonyme de l'apollon décrit plus haut, et qui dans ce dictionnaire est une petite robe de chambre qui ne descend que jusqu'aux cuisses. Cette définition d'apollon beaucoup moins élaborée que la première citée plus haut. 


Définition de casaque et casaquin 

Définition de l'apollon 

Tirées de l'Encyclopédie françoise, latine et angloise ou dictionnaire universel des arts et des sciences contenant la signification et l'explication de tous les mots de ces trois langues , & tous les termes relatifs aux Sciences et aux arts, 1761



En résumé, la définition vague et floue du dictionnaire de l'Académie française en 1762 est peut-être celle à la fois la plus frustrante et la plus juste de l'utilisation du mot casaquin: «Espèce d’habillement court, & qu’on porte pour sa commodité». 


Définitions de casaque et casaquin
Dictionnaire de l'Académie Française,1762

Mais pour compliquer un peu plus les choses, j'ai aussi trouvé une définition de 1766 qui compare le casaquin non pas à la demi-robe, au pet-en-l'air, à l'apollon ou à la petite robe de chambre mais à une nouvelle pièce de vêtement: la camisole.


Définition de casaquin
Dictionnaire du vieux langage françois, enrichi de passages tirés de manuscrits en vers & en prose, des Actes Publics, des Ordonnances de nos rois, &t.
François de La Combe
1766



En résumé, peut-on vraiment arriver à un consensus par rapport à ce qu'est un casaquin? Il est parfois décrit comme ayant des plis de robe à la française, parfois comme n'en ayant pas, parfois comparé justement à une demi-robe (mais jamais au pet-en-l'air), à une petite robe de chambre ou à un apollon. Ce vêtement est toujours décrit comme ayant une longueur raccourcie, le plus souvent au milieu de la cuisse. 

Mais pour en revenir à M. D'Aleyrac, puisqu'il précise que le mantelet est comparable à un casaquin sans plis, je crois que les plis auxquels il fait référence sont ceux de la demi-robe. D'autant plus qu'étant incertain de la clarté de son utilisation du mot casaquin, il préfère préciser qu'il parle de l'habillement ordinaire des femmes et des filles.


J'espère que vous aurez apprécié ce travail de vocabulaire vestimentaire. Je sais maintenant que le mot casaquin est à la fois vague et précis pour désigner une pièce de vêtement féminin du XVIIIe siècle.


Mlle Canadienne

dimanche 18 juin 2023

Les soies de Lyon, une histoire de luxe textile

 Bonjour,


Un peu en dehors de mes sujets habituels, j'aimerais vous partager une expérience de voyage personnelle. Dernièrement, j'ai eu la chance de visiter la capitale de la soie qu'est la ville de Lyon. Pour diverses raisons, j'avais déjà un attrait certain pour cette fibre longtemps restée un secret d'Asie. Mes diverses visites ont augmenté mon intérêt, si cela était encore possible.

J'aimerais d'abord remercier Pascale Thévenin de m'avoir préparé une belle journée à la découverte de la soie lors de ce voyage.


Premier arrêt: La Maison des Canuts


La visite s'est déroulée en deux parties: d'abord la visite du musée d'interprétation de la soie. On n'y apprend que le fameux métier Jacquard, mis au point en 1804 n'est que la réunion plusieurs inventions séparées qui ont été produites au cours du XVIIIe siècle et de les faire fonctionner sur un même métier à tisser. Un mécanisme de sélection de lacs à l'aide d'aiguilles et de papier perforé a d'abord été inventé par Basile Bouchon en 1725. En 1728, le papier est remplacé par des cartons rectangulaires, enlacés et formant une chaîne par l'initiative de Falcon. La grande initiative de Jacquard en combinant les différents types d'inventions déjà existantes c'est qu'il réussira à faire en sorte qu'un métier à tisser ne requiert l'aide que d'un seul tisseur. En effet, depuis le métier de Dangon en 1605, tous les métiers à tisser des motifs requéraient la présence d'un tisseur au tissage et d'un auxiliaire pour soulever les fils de chaines dans l'ordre requis pour faire les motifs. Le désavantage de ce nouveau métier c'est qu'il est deux fois plus haut que ses prédécesseurs ( environ 4 mètres de haut). Ce phénomène a fait une migration des tisseurs lyonnais habitant le Vieux Lyon le long de la Saône vers un nouveau quartier où ils ont pu se faire construire des maisons dans lesquelles les métiers Jacquards pouvaient tenir, maintenant appelé le quartier de la Croix-Rousse. Les premiers à déménager ont pu profiter que les couvents à haut plafonds avaient été vidés de leurs occupants durant la Révolution Française.

Maison des Canuts
Alix explique la hauteur des métiers Jacquards

Maison des Canuts
Le canut (tisserand) a un ''siège'' pour travailler


Maison des Canuts
Alix, installée au métier, montre la finesse du fil de trame principal
Maison des canuts
Les fils de trames varient en coloris selon le patron déterminé
Le tissage se fait côté envers sur le dessus


Maison des Canuts
Détail de l'enroulement du broché sous le métier
Maison des Canuts
Détail du broché une fois fini


La seconde partie était une visite guidée expliquant le mécanisme d'un métier Jacquard et du cycle de vie de la sois. Notre guide s'appelait Alix. Elle nous a expliqué la différence entre un tissu broché, c'est-à-dire que tous les fils sont de soie et le brocart, soit un tissu formé de fils de soie d'or et-ou d'argent. Le brocard d'or et de soie qui nous a été présenté valait 35 000 le mètre. Le métier Jacquard s'active à l'aide d'une pédale et la languette de carton perforé permet de soulever les fils de chaine pour faire un motif déterminé. La navette du fil de chaine principale est passée d'un côté à l'autre du métier à l'aide d'une corde. À mon grand étonnement, lors du tissage, la partie visible au tisseur est l'endos du tissu et non le côté décoratif. D'autres petites navettes de fils de différentes couleurs  permettent de créer les motifs colorés. Les métiers à soie entièrement mécaniques (comprendre automatisés et modernes) peuvent fabriquer des tissus avec un maximum de 16 couleurs différentes pour les plus perfectionnés. La majorité se contente de 3-4 couleurs. Le métier Jacquard peur fabriquer des tissus avec une centaine de teintes de soie différentes. La majorité des tissus de soie produits aujourd'hui sur des métiers Jacquard sont destinés à habiller les sites historiques de France et d'ailleurs et permettent de maintenir ce savoir-faire artisanal en vie.

À la Maison des Canuts
Alix nous montre un brocard valant 35 000 € le mètre.

La largeur des métier à tisser la soie ont une taille standard de 54 cm. Un tisseur expérimenté, ce qui nécessite 8 à 10 ans d'apprentissage, peut, selon le motif sélectionné, fabriquer 3 cm de tissus de l'heure, soit 30 cm par jour. Et ces vitesses sont atteignables avec les métiers Jacquard qui ont accéléré le processus. Les métiers à bras, comprendre entièrement manuels, devaient être manoeuvrés à deux intervenants et être un peu plus lent quant à la fabrication.

Les ouvriers de la soie à Lyon sont nommés canuts et non tisserands. Ce nom provient, selon l'hypothèse la plus répandue, des canettes qu'ils utilisaient en quantité, ces petites bobines sur lesquelles les fils de soie sont enroulés avant de les mettre dans les navettes. Selon une autre hypothèse beaucoup moins répandue, ce nom proviendrait de leur statut d'ouvrier. Au XIXe siècle, lorsque la mode de la canne de promenade a prit son apogée, il était possible de reconnaitre les artisans de la soie parce qu'ils avaient des ''cannes nues'' contrairement aux cannes travaillées des bourgeois. Les bourgeois commerçant la soie étaient nommés les soyeux. Il était illégal de passer commande directement au canut, s'assurant que tout profit était majoritairement laissé au bourgeois et presque rien aux ouvriers. Un maitre artisan travaillait chez lui, ayant entre 2 et 6 métiers Jacquard en sa possession et tous les membres de la famille étaient requis. La mise en place des fils de trames requiert 3 mois de mise en place, d'où l'importance d'avoir au moins deux métiers dans un atelier.

Maison des Canuts
Alix montre une canette dans une navette


Soierie St-Georges
Canettes, soie grège et cocons de soie

Après avoir expliqué et démontré l'utilisation des métiers Jacquard, Alix nous a expliqué l'histoire de la soie en général et celle des vers à soie. La légende veut que le fil de soie a été découvert par Xi-Ling-Shi, la femme de l'empereur Huang-Ti qui prenait son thé sous des mûriers. Un cocon tomba dans la tasse de thé de la jeune femme. Voulant s'en saisir pour retirer l'objet indésirable de sa boisson, elle en dévida le fil et fit la découverte du fil de soie. Si les historiens n'ont pu confirmer cette légende, tous s'accordent à situer la découverte de la soie en Chine, environ 2600 ans avant Jésus-Christ selon notre ligne de temps européenne.

La Chine fut en mesure de maintenir les secrets de fabrication de la soie pendant environ 3000 ans. Quiconque pris en flagrant délit d'exporter des oeufs ou cocons encourt la peine de mort. La cause de la fuite de ce savoir faire ne vint pas du bas peuple pourtant mais d'une jeune princesse chinoise destinée à épouser le roi du Khotan. Selon le récit du pèlerin bouddhiste Xuanzang (602-664), incapable d'envisager de vivre dans un pays sans soie, elle entreprit de cacher des oeufs de bombyx et des graines de mûrier dans sa coiffure, à l'insu des gardes-frontières. Cependant l'art du dévidage du cocon et les savoirs-faire chinois demeuraient inviolés, seul la sériciculture s'était exporté, c'est-à-dire l'élevage des vers à soie.

Comment se passe la sériciculture? Les deux éléments indispensables à l'élevage des vers à soie et le mûrier. À l'instar du panda qui ne se nourrit presque exclusivement de bambou, le bombyx du mûrier ne se nourrit que de cet arbre, le mûrier. La sériciculture en France s'installe de façon progressive en France au cours du XVIIe siècle. La première moitié du XIXe siècle voit l'apogée de la sériciculture. La déchéance de cet élevage viendra d'une menace interne. La pébrine, la maladie du vers à soie dévastera les élevages français, épicentre de cette nouvelle maladie. Les évènements mondiaux subséquents (ouverture du canal de Suez, invention de la rayonne comme substitut et les deux guerres mondiales) continueront de mettre à mal cette culture de la soie pour qu'aujourd'hui il n'en reste que quelques rares initiatives patrimoniales et artisanales de sériciculture en France.

Le saviez-vous?

De son éclosion jusqu'à la formation du cocon, le bombyx du mûrier passe ses journées à manger des feuilles de mûrier sans jamais déféquer. Lorsqu'est venu le temps de construire son cocon, il excrète deux substances de chaque côté de sa gueule, d'un côté un fil de soie continu à proprement parler et de l'autre une bave collante permettant d'agglutiner le fil autour de lui. Chaque cocon contient un unique fil dont la longueur varie entre 600 m et 1. 5 km. Aujourd'hui, avec la sélection inhérente à la domestication, la longueur des fils de cocons se sont standardisé à 1 km. Afin de préserver ce fil entier, la fabrication de soie implique d'étouffer les cocons sélectionnés avant de les dévider de leur fil, tuant le papillon en devenir dans le cocon.


Maison des Canuts
Alix montre la filasse, aussi nommée soie grège



Maison des Canuts
Détail de la filasse

La filasse est la première étape pour réaliser un fil de soie mais certainement pas la dernière. Le moulinage prépare le fil au tissage tout en modifiant son aspect et sa résistance. Aujourd'hui industrialisé, le moulinage applique une torsion au fil variant entre 300 et 3000 tour au mètre grâce à des techniques successives de dévidage, doublage et rembobinage sur des machines dédiées à cet usage. La teinture est aussi appliquée aux fils de soie pour en modifier l'apparence. Les personnes qui continuent de tisser la soie sur des métiers Jacquards, les canuts modernes, achètent maintenant leurs fils de l'étranger, essentiellement du Brésil.



Deuxième et dernier arrêt: Les soieries St-Georges


Les soieries St-Georges ont deux boutiques dans le Vieux-Lyon, nous sommes allés à celle munie d'un atelier, que je qualifierais plus d'un atelier-musée. L'avant de la boutique est destinée à la vente de foulard de soie, tous fabriqués en France mais le vrai trésor est l'arrière boutique où est situé l'atelier. De petites merveilles s'y cachent, il faut prendre le temps de les trouver...


Soierie St-Georges
Portrait tissé de Joseph-Marie Jacquard, inventeur du métier Jacquard
Soierie St-Georges
Portrait illustrant un atelier de canut, toujours sur tissu il me semble


Soierie St-Georges
Exemples de tissus et rubans de soie du XIXe et XXe siècles



Soierie St-Georges
Lettre de reconnaissance de maître ouvrier de Jean-Baptiste Boucharlat, 1743


Soierie St-Goerges
Livre de référence au canut pour la fabrication d'un matelassé

Soierie St-Goerges
Livre de référence au canut pour la fabrication d'un matelassé


Nous avons eu la chance que la boutique soit très peu achalandée lors de notre visite, ce qui a permi à Romain de nous expliquer l'origine de l'onomatopée bistanclaque-pan. (J'espère vraiment être capable d'inclure la vidéo à cet article de blogue) Avec l'autorisation de Romain De la Calle.


Soierie St-Georges
Détail des cartes trouées du mécanisme Jacquard

J'ai été grandement impressionnée par le document d'époque, je crois datait du milieu du XIXe siècle montrant l'entièreté des coloris de soie disponibles à l'époque.



Soierie St-Georges
Échantillons de couleurs de soie
XIXe siècle

Soierie St-Georges
Échantillons de couleurs de soie
XIXe siècle

Soierie St-Georges
Échantillons de couleurs de soie
XIXe siècle

Soierie St-Georges
Échantillons de couleurs de soie
XIXe siècle




Ces différents coloris servent à fabriquer des tissus de toutes sortes: brocard, broché, velours...



Soierie St-Georges
Brocart avec fils d'or et d'argent
Soierie St-Georges
Planche technique avec le brocard issu de cette planche technique




Soierie St-Georges
Soie chinée

La soie chinée a ceci de particulier: les fils de trame sont teints avant la mise en place sur le métier par petites sections afin que le produit fini forme des motifs. La soie chinée a ces dégradés caractéristiques dans les motifs.


Soierie St-Georges
Velours ciselé polychrome

Soierie St-Georges
Velours ciselé monochrome

Nous avons eu la chance d'assister au tissage d'un velours ici (toujours avec l'autorisation de Romain De la Calle):








Soierie St-Georges
Détail du rabot


Soierie St-Georges
Détail du velours en cours de fabrication

Ma découverte et léger coup de coeur de l'atelier de la Soierie St-Georges a été les métiers à galons doré, encore en fonction. Pour l'activer il suffit de tourner la manivelle en sens anti-horaire pour voir les bobines valser dans une ronde mécanique accompagné d'un bruit assourdissant, plus pénible lorsqu'on n'active pas soi-même le mécanisme. J'ai tellement adoré l'expérience que je suis retournée un autre jour afin de répéter l'expérience. Lors de notre visite, un visiteur activa la manivelle en sens horaire ce qui cassa plusieurs fils. Romain a dû passer près de 45 minutes pour réparer cette erreur et rendre le métier à nouveau fonctionnel.


Soierie St-Georges
Métier à tisser un galon doré
Soierie St-Georges
Michel essaie un des métier à tisser un galon
Soierie St-Georges
Détail du galon tissé par Michel


Malheureusement, je n'ai pu poursuivre le thème de la soie à Lyon en allant visiter leur musée des tissus, celui-ci étant fermé pour rénovation lors de mon passage. J'adorerais voir les habits de soie anciens, surtout maintenant que j'ai découvert le processus de fabrication des métiers à tisser la soie.



Les informations de cet articles proviennent de mes discussions avec les personnes rencontrées lors de mon voyage à Lyon : Alix de la Maison des Canuts ainsi que Romain et Virgile, de la Soierie St-Georges. Je les remercie énormément de partager leurs connaissance  avec le public, j'ai apprécié chaque minute en votre compagnie.  J'ai aussi complété avec le pamphlet « Le ver à soie, histoire d'un fil », des Éditions Géorama acheté à la Maison des Canuts. Et encore merci à Pascale Thévenin de m'avoir permi de découvrir ces lieux de la soie de Lyon.


J'espère vous avoir transmis un peu de ma passion pour les métiers de la soie.


Je vous souhaite une agréable journée


Mlle Canadienne



Pour plus d'informations:

Maison des Canuts

Soierie St-Georges








Question de vocabulaire: casaquin, vêtement à plis ou sans plis?

Bonjour, Depuis plusieurs années je m'intéresse aux vêtements du XVIIIe siècle et je dois avouer qu'aucun mot ne m'a autant embr...