mardi 12 janvier 2021

Des Filles du Roy à la Conquête, chapitre 1. Les ex-votos et peintures de femmes au Canada

 Bonjour,

Cet article est le premier d'une série sur les vêtements des femmes durant la période de la Nouvelle-France. Cette série d'articles est basé sur la conférence que j'ai donné aux Rendez-vous d'Histoire de Québec en août 2020, tout en me permettant d'approfondir davantage le sujet avec des explications plus détaillées et toujours plus d'iconographie. Ce premier article abordera les tableaux peints en Nouvelle-France ou représentant des dames ayant vécu en Nouvelle-France.


Détail de l'ex-voto de Madame Riverin
Date 1703
Artiste Michel Dessailliant dit Richeterre
Collection du Musée National des Beaux-Arts du Québec
Crédit photo: Joseph Gagné



Imaginez les gens qui vivaient il y a 100 ans, quels étaient leurs vêtements. Prenons par exemple la couverture du magazine Vogue.


Couverture du magazine Vogue
juin 1920

Couverture du magazine Vogue Paris
mai/juin 2020


Vous ressentez le passage du temps entre ces deux couvertures de magazine. Il y a la méthode d'illustration qui a passé du dessin à la photographie, le choix de tissus qui est passé de très opaque et couvert à transparent et révélateur, la coupe des vêtements, le maquillage, les bijoux... le passage d'un siècle n'a pas laissé la mode intacte, elle s'est modifiée au fil du temps.


Que votre référence soit Anne de la Maison aux Pignons Verts avec ses manches bouffantes, Gatsby le Magnifique ou bien les premiers films de Charlie Chaplin, vous admettez volontiers que les gens d'il y a 100 ans avaient une apparence différente de celle de 2020. 

Pourquoi en serait-il différent entre les Filles du Roy et les femmes qui ont vécu la guerre de la Conquête? Le but de cette série est de vous familiariser avec l’esthétisme de la fin du 17ième siècle et de la première moitié du 18ième siècle et vous aider à différencier les quatre grandes vagues de modes féminines qui ont eu cours durant cette période.


 

Si la Nouvelle-France a débuté avec la ''découverte'' de la vallée du St-Laurent par Jacques Cartier en 1534, l’établissement permanent des français a attendu Samuel de Champlain et l’habitation de Québec en 1608. Pendant la période qui suivit, il y eut peu de femmes qui se sont établies. 1663 a été la date choisie pour débuter cette série car elle représente l’arrivée massive de femmes dans la colonie. Avant cette date, il y avait un déséquilibre immense entre les femmes célibataires et les hommes célibataires, soit environ 1 femme pour 16 hommes. Les Filles du Roy ont établi l’équilibre proportionnel entre les sexes chez les habitants de la Nouvelle-France.


Petit rappel historique tiré de mes cours d'histoires de secondaire 4: Avant l'établissement des Filles du Roy, la Nouvelle-France était une colonie-comptoir qui servait essentiellement en approvisionnement de morues et de fourrures. La plupart des hommes s'engageaient pour travailler 3 ans et repartaient vers la Vieille France par la suite sans s'établir.  Pour aider l'établissement de familles en Nouvelle-France, à partir de 1663, le roi Louis XIV envoie des femmes peupler la colonie. En l'échange d'une dot fournie par le roi ainsi que des frais du voyage, les femmes qui acceptent de devenir une Fille du Roy s'engagent à traverser l'Atlantique pour prendre mari en Nouvelle-France.


La première source d'iconographie que nous allons explorer est les ex-voto de la Nouvelle-France. Un ex-voto est un tableau ou un objet symbolique donné à l’église en remerciement d’une grâce obtenue. Lorsque j'ai fait ma présentation en août 2020, je n'en connaissais que deux qui représentent des femmes durant la période de la Nouvelle-France qui proviennent de la collection du Musée National des Beaux-Arts du Québec. Or, depuis j'en ai trouvé deux autres. Un provient du musée des hospitalières de l'Hôtel-Dieu de Montréal. Un autre est une photographie ancienne d'un ex-voto de 1666 de la collection du Musée National des Beaux-Arts de Québec.

 

Voici l'ex-voto de Mme Riverin de 1703. 

Ex-voto de Madame Riverin
Date 1703
Artiste Michel Dessailliant dit Richeterre
Collection du Musée National des Beaux-Arts du Québec
Crédit photo: Joseph Gagné


La pieuse Madame Riverin est représentée vêtue d'un manteau de brocard bleu, retroussé aux hanches, laissant apercevoir une pièce d'estomac ou corps baleiné doré. Elle est coiffée à la Fontange, cette haute et caractéristique de la fin du règne de Louis XIV. Madame Riverin est parée d'accessoires blancs de luxe: collier de larges perles blanches et dentelles pour la coiffure à la Fontange, la bordure de la poitrine et les manches, aussi nommées engageantes pour la dernière pièce de dentelle. De même les trois fillettes du portrait sont représentées avec de la dentelle pour la coiffure, l'encolure et les engageantes. Ce portrait est le plus parlant en ce qui est un trait à la capacité des femmes de la Nouvelle-France de suivre les modes de la Métropole. J'y reviendrais dans le chapitre traitant de cette période de mode, soit le chapitre 3 de cette série.


La dame en haut à gauche est, à mon avis, une représentation de Sainte Anne, la mère de Marie. Puisque elle une représentation du divin, je ne m'attarde pas sur ces vêtements. 


A présent, voici l'ex-voto des trois naufragés de Lévis.

 

Ex-voto des trois naufragés
Date 1754
Auteur Anonyme
Collection du Musée National des Beaux-Arts du Québec
Crédit photo: Joseph Gagné


La qualité de facture de cet ex-voto le rapproche plus de l’art naif comparé à celui de Madame Riverin que nous venons de voir. Malgré les apparences, il a été peint 50 ans après ce dernier. Cette facture plus rudimentaire se traduirait-elle par la différence de classe sociale des personnes ayant commandé les ex-votos? C'est une hypothèse. Il est également possible que 50 ans plus tard, à la veille de la guerre de la Conquête, il n'avait plus de peintre ayant étudié en France dans la colonie, mais seulement des autodidactes.  Malheureusement, on ne voit que très peu les vêtements des femmes naufragées. Cet ex-voto donne un aperçu de comment les gens de classe moyenne se percevaient et se sont faits représentés. Chaque dame est coiffée d'un bonnet et porte un mouchoir de cou. Les couleurs de leurs tenues sont brune, grise et bleue à carreaux.


Voici un ex-voto représentant l'intérieur d'un hôpital au début du XVIIIe siècle.

La salle des femmes
début du XVIIIè siècle
Auteur Anonyme
Collection des RHSJM
Musée des hospitalières de l'Hôtel-Dieu de Montréal

C'est un ex-voto que j'ai découvert dernièrement. Malheureusement la qualité de l'image ne permet pas d'apprécier autant les détails de la peinture que les deux autres ex-votos. Les malades de la salle des femmes de cette peinture portent des accessoires blancs comme des bonnets et des mouchoirs de cou. Difficile à déterminer le type de vêtements qu'elles portent avec la qualité de l'image. Je note toutefois la longueur de la jupe de la dame au coin gauche qui semble être aux chevilles.


 Voici le dernier ex-voto pour cet article.

Épreuve à l'albumine argentique
 d'un ex-voto de 1666 de la Cathédrale Notre-Dame-de-Beaupré
Date 1892
Photographe: Jules-Ernest Livernois
Collection du Musée National des Beaux-Arts du Québec

J'avoues que ce tableau me laisse perplexe par rapport aux vêtements. L'interprétation de ce tableau dépasse mes connaissances de la représentation religieuse de l'époque et me laisse perplexe. Les deux personnages en avant-plan, soit à l'extrême droite et l'extrême gauche du tableau représentent des pèlerins, reconnaissable dans l'iconographie religieuse par la coquille de St-Jacques de Compostelle. Là est mon interrogation. Les autres ex-votos représentent les gens qui ont payé pour l'ex-voto soit entrain de remercier Dieu (Madame Riverin) soit durant l'évènement pour lequel ils ont survécu et payé l'ex-voto (la salle des femmes et les trois naufragés. Ce tableau semble être un remerciement pour l'arrivée de pèlerin à Sainte-Anne-de-Beaupré. Je ne suis pas experte en iconographie religieuse, loin de là, mais ces pèlerins me font grandement penser à cette représentation de la renaissance, surtout par rapport aux vêtements masculins:


Gravure de 1568 représentant des pèlerins
Auteur: Jost Amman et Hans Sachs
Source: Wikimedia Commons

Cela me fait questionner, est-ce que cet ex-voto utilise les références visuelles traditionnelles chrétiennes pour représenter les pèlerins plutôt que la vraisemblance de leur époque? De la même manière que les Saints sont toujours représentés avec leurs attributs particuliers pour les reconnaitre. Par exemple Saint-Antoine de Padoue est représenté avec un livre, portant le Saint-Enfant, un lys, une mule et des poissons; Saint Denis est représenté avec des chaines, portant sa tête décapitée entre ses mains avec la crosse et la mitre d'évêque. Voir ici pour une liste plus exhaustive des Saints et leurs attributs. Bref, ce tableau dépasse mes capacités d'interprétation mais je voulais le partager. Peut-être que quelqu'une de mon lectorat pourra m'apporter quelques lanternes à ce sujet.

Mise à jour 2020/01/13

Mme Catherine Lapointe, suivant la publication de cet article m'a partager un autre ex-voto, lui provenant du musée de Vaudreuil-Soulanges
Ex-voto de l'enfant malade
Date 1697
Artiste Anonyme
Collection du Musée régional Vaudreuil-Soulanges

Je suis vraiment contente de cette trouvaille car elle documente davantage le port de la Fontange en Nouvelle-France. C'est aussi une rare image de cette période montrant une dame avec un tablier. Merci Mme Catherine Lapointe!

Fin de la mise à jour


Une autre source iconographique sont les portraits des dames ayant vécu en Nouvelle-France.

 

Portrait de Claude-Élisabeth Souart d’Adoncourt, baronne de Longueuil
Artiste Anonyme
 1681
Collection du Musée McCord
Cités dans cet article de Radio-Canada 


Voici le plus ancien portrait des dames de la Nouvelle-France que j’ai trouvé demes recherches, il date de 1681. Comme pour la plupart des tableaux de femmes, nous avons aujourd’hui plus d’informations sur la vie de son mari, Charles Lemoyne de Longueuil que sur sa femme. 

Portrait de Charles Lemoyne de Longueuil
Artiste Anonyme
1681
Collection du Musée McCord
Cités dans cet article de Radio-Canada



Selon toutes vraisemblance, ces portraits ont été fait avant que les nouveaux époux ne quittent la France pour s’établir en Nouvelle-France.  Charles Lemoyne de Longueuil cumulera de nombreux postes au sein de la colonie: seigneur de Longueuil, seigneur de Beloeil, gouverneur de Trois-Rivières et gouverneur de Montréal.

 

Portrait attribué à Madame Bégon,
copie de Henri Beau
 1935,
 Bibliothèque et Archives Canada 

Depuis des années ce portrait est diffusé comme étant celui de Marie-Élisabeth Rocbert de la Morandière, appelée Mme Bégon pour son mariage avec Claude-Michel Bégon, hors il n’en est rien. Il s’agit d’une erreur d’attribution de la part d'Henri Beau, l'artiste copiste travaillant pour les Archives publiques du Canada. Il s’agirait d’un portrait des années 1710 de l’épouse d’un autre Michel Bégon, de Montfermeil celui-là. Le couple de Bégon de Montfermeil a toujours vécu en France. Je cite ici la notice de Bibliothèque et Archives Canada:

Henri Beau a travaillé à Paris pour les Archives publiques du Canada de 1915 à 1938; il avait pour tâche de copier des paysages, des portraits, etc., et de mener des recherches iconographiques. Voir Pierre Lallier, Henri Beau (Musée du Québec, 1992).
On identifiait autrefois ce portrait à Marie-Élisabeth Rocbert de la Morandière, épouse de Claude-Michel Bégon (1696-1755). Cependant, le portrait original dont Henri Beau a fait cette copie est signé et daté au verso : G Dubuisson fecit 1710. La comparaison de cette signature avec celle d'une peinture religieuse du même artiste (à La Rochelle, Musée des Beaux-Arts de France) prouve que le modèle n'est pas madame Bégon, épouse de Claude-Michel Bégon. Il s'agit peut-être de Catherine Guymont (1666-1754), épouse de Michel Bégon de Montfermeil.


Cela ne m'empêchera pas pour autant de vous parler de Marie-Elisabeth Rocbert de la Morandière pour autant. Simplement appelée Mme Bégon après son mariage, elle est célèbre pour ses «Lettres au cher fils», écrites entre 1748 et 1753 , éditées par les Éditions du Boréal. Tous mes extraits proviennent de cette édition de 1994. Ainsi, Marie-Elisabeth Rocbert de la Morandière, dite Mme Bégon, est la seule femme laïque de la Nouvelle-France ayant laissé un témoignage écrit de ses préoccupations quotidiennes. Ses nombreuses lettres nous informent sur la vie des bourgeois et nobles de la Nouvelle-France, malgré qu’elle ne participe elle-même que peu aux différents bals et sociabilités de l’élite du pays. Bien que née en Nouvelle-France, elle quitte son pays natal pour s’établir en France, où elle souhaite être rejointe par son ''cher fils'', qui est en réalité son gendre, Michel de Villebois. Ce qui n'arrivera pas, malheureusement pour Mme Bégon.


À son arrivée en France en 1749, lors d’un dîner en cérémonie tenu le 5 novembre par l’ancien intendant Gilles Hocquard, l'épistolière se froisse à voir :

   «Mme Hocquart rouge de vermillon comme nos sauvages qui vont en guerre; c’est dommage.» 

Comme quoi il y avait quand même des différences entre le Canada et la France, du moins en ce qui concerne l’application de couleurs de maquillage. Un peu plus tard, le 27 janvier 1750, Mme Bégon écrit:

 « Si tu eusses vu ta fille hier, tu serais resté comme elle fit à la vue de ce damas de couleur rose que tu lui donnas. Elle était avec un corps neuf qui lui fait la belle taille, de bonne grâce, et partit bien contente avec de la peine, cependant, de ne savoir point danser et elle revint très satisfaite d'avoir vu une aussi belle assemblée, mais toujours aussi fâchée de voir des dames aussi barbouillées de rouge qu'il y en a ici.»

 Cependant, la petite-fille de Mme Bégon, Marie-Catherine, modifie son opinion par rapport au rouge quelques mois plus tard comme l'indique sa grand-mère lors d'une lettre du 19 septembre 1750: 

« Le voyage que notre petite a fait à Blois l'a un peu radoucie pour le rouge. Elle dit à présent que si elle était pâle, elle en mettrait un peu pour n'effrayer personne parce qu'elle pense que cela peut faire de la peine de voir quelqu'un d'une pâleur extraordinaire. Tu vois que nous nous apprivoisons volontiers avec tout. Elle a vu d'aimables personnes, ses parentes à Blois, très barbouillées et très jolies.» 


Mme Bégon est plutôt de nature pragmatique en ce qui a trait à la mode vestimentaire. Le 15 décembre 1749, peu de temps après son arrivée à Rochefort, elle dénonce la cherté du bois de chauffage: 

« J'ai fait chercher du bois mais qu'il est effrayant de payer vingt-quatre un cent de bûches qui à peine fait notre demi-corde! Voilà de quoi mourir de faim ou de froid. Mais j'aime mieux aller avec mes vieilles guenilles et me chauffer et manger.»

 Le 5 avril 1750 elle exprime à nouveau cet opinion à propos des vêtements et du froid:

« Nous chauffons plus que nous ne le ferions en Canada et assurément à plus gros frais, mais j'aime mieux épargner en hardes et me chauffer: c'est là toute ma dépense

 

Toutefois, Mme Bégon cède aux caprices de modes de sa chère petite-fille Marie-Catherine, qu'elle élève comme sa fille. La plupart des informations relatives à la mode vestimentaires dans ses lettres sont des critiques de la grand-mère à l'encontre de sa petite-fille. Le 5 avril 1749, au dernier jour du Carême elle écrit, alors qu'elles sont encore au Canada: 

  « Ta chère petite fille a voulu être de tout et, n'aimant point à la laisser après moi, je l'ai menée volontiers. Nous avons passé partie de l'après-midi à coiffer des garnitures pour elle; des effilés tout neufs, des aigrettes de jais bien brillantes qui la flattent beaucoup mais elle est peu contente des gants que tu lui a envoyés: ils sont à la vérité des plus vilains que j'ai vu, tout déchirés entre les doigts et au pouce; les mitaines à peu près de même.» 

Le 12 juin 1749, lors d'un épisode de canicule précoce, Mme Bégon décrit: 

Tissage en armure toile
Tiré de l'article: Les différentes armures de tissus
du blogue Pieds nus dans l'herbe
« Il a fait chaud aujourd'hui à avoir de la peine à respirer. Mais tu me connais et ne me plains point de ce temps que j'aime beaucoup mieux que le froid. Mais ta fille est pire que toi, elle n'a cessé de crier «Qu'il fait chaud! » Quoiqu'elle soit en simple robe de toile, elle se traîne par terre et est désolée par la chaleur.» 

Marie-Catherine a neuf ans lors de cette anecdote. Généralement la toile est le mot qu'on utilise pour décrire le type de tissage à enchevêtrements réguliers. Au XVIIIe siècle, la toile désigne généralement un tissu de lin utilisant cette méthode de tissage. On peut imaginer qu'à cet âge, elle porte encore une robe pour enfant faite en lin, fibre réputée pour laisser passer l'humidité et la chaleur. 



Le 12 décembre 1750, Mme Bégon se plaint des dépenses qu'a fait Marie-Catherine à la foire de Brest:

 « Elle (Marie-Catherine) m'a fait des emplettes dont je me serais volontiers passée. Elle a pris un noeud d'épée pour son maitre de danse et plusieurs rubans pour moi, de son goût, qui sont comme tu penses tous rembrunis, car je ne porte que du noir en cérémonie et, dans ma chambre, une petite robe de cotonnade toute brune. Voilà, mon cher fils, l'ajustement de ta pauvre mère.» 


Cet extrait nous permet de mieux comprendre son vocabulaire vestimentaire comme hardes et guenilles lorsqu'elle écrit qu'elle préfère se chauffer l'hiver que s'habiller. Ce qui me fait penser que ma propre grand-mère utilise encore le mot guenille pour désigner des vêtements.


Dans les «Lettres au cher fils», il y a quelques lettres qui ne sont pas de la main de Mme Bégon. Une de Marie-Catherine, écrite à Rochefort le 10 décembre 1750 nous informe d'une pratique de récupération de Mme Bégon: 

« Je vous prie, mon cher père, d'envoyer vos vieux bas de soie pour m'en faire. Maman aime beaucoup à tricoter.»

Je reconnais là le caractère économe et pragmatique de Mme Bégon. Quoi de plus intemporel qu'une grand-mère qui tricote des bas pour sa petite-fille! Cela indique aussi que Mme Bégon a appris le tricot au cours de sa vie, fort probablement en Nouvelle-France chez les Ursulines qui s'occupaient principalement de l'éducation des jeunes filles bien nées.

De par une lettre de Claude-Michel-Jérôme Bégon, fils naturel de Mme Bégon, on apprend que Mme Bégon adore les indiennes, ce tissu en coton imprimé à motif floral originaire des Indes: 



Reproductions de robe de chambre en indienne
et robe à la française en indienne
Comme Mme Bégon, j'aime l'indienne!



 « Vous savez que ma chère mère aime l'indienne. Elle en a acheté plusieurs pièces pour nous habiller et nous quarrons tant que nous voulons ici. Ma nièce, votre fille, en a une qu'elle porte du soir au matin.»




Quarrer serait un verbe utilisé au Canada du XVIIIe siècle comme synonyme de parader, faire le fier.




Cette citation est un léger indice supplémentaire pour l'utilisation d'indienne en Nouvelle-France!  En demandant à son beau-frère  s'il se souvient que sa mère aime l'indienne, Claude-Michel-Jérôme Bégon rappelle des souvenirs du temps qu'ils vivaient tous en Nouvelle-France. Ils ont donc déjà été en contact avec ce genre de tissus dans la colonie. (Malgré l'interdiction en vigueur. Ce sujet aussi mériterait approfondissement.)


Portrait Madame Joseph-Gaspard Chaussegros de Léry, fils, née Louise Martel de Brouage,
Auteur Anonyme
vers 1755
 Musée National des Beaux-Arts du Québec


Voici le seul des portraits que je vous présente aujourd’hui qui a été peint en sol américain. Selon l'avis du Musée National des Beaux-Arts, il aurait été agrandi pour être proportionnel à celui de son époux, ingénieur canadien de formation, qui lui a été peint en France. Son mari, Joseph-Gaspard Chaussegros de Léry, a été formé comme ingénieur canadien qui a vécu dans l'ombre de son père Gaspard-Joseph Chaussegros de Léry qui fût ingénieur du Roi en Nouvelle-France de 1716 à 1756. Le fils démissionna de son poste de sous-ingénieur en 1749 pour se concentrer sur une carrière militaire plus classique.


Le type de robe que porte Mme Chaussegros de Léry fait parti des exceptions pour les robes illustrées en portrait au cours des XVIIe et XVIIIe siècles. Certaines personnes disent qu'il s'agit de vêtements de portraits fournis par le peintre pour un portrait plus « intemporel» et qui n'étaient pas portés au quotidien. Puisque je souhaite en faire un article complet dans le futur, je ne m'étendrais pas sur le sujet aujourd'hui.


Portrait de Joseph-Gaspard Chaussegros de Léry
Artiste Inconnu
Vers 1751-1752 
Musée National des Beaux-Arts du Québec

Le portrait de Joseph-Gaspard Chaussegros de Léry est connu pour avoir été peint en France, ce qui expliquerait la différence de traits de pinceau entre les deux portraits du couple.


Voici le dernier portrait officiel des dames ayant vécu en Nouvelle-France:

Portrait de Madame Pierre de Rigaud de Vaudreuil, née Jeanne-Charlotte de Fleury Deschambault,
Attribué à Donat Nonotte 
vers 1753-1755
Copie de Henri Beau
Début du XXe siècle
Bibliothèque et Archives Canada

 

J'ai déjà fait l'analyse détaillée de la vie de cette dame dans cet article en 2019. Rappelons brièvement le parcours de l’époux de cette dame, Pierre de Rigaud de Vaudreuil.

Portrait de Pierre de Rigaud de Vaudreuil de Cavagnial, Marquis de Vaudreuil
Attribué à Donat Nonotte
Copie de Henri Beau
Début XXe siècle
Bibliothèque et Archives Canada


 Il obtient le poste de gouverneur de Trois-Rivières en 1731. En 1742, il est promu gouverneur de la Louisiane. Jeanne-Charlotte de Fleury Deschambault a vendu tous ses biens en Canada pour le rejoindre en France. Il partira de France pour la Louisiane avec elle en 1743, un an après sa nomination. Ils se marient quelque part durant l’hiver suivant leur arrivée en Louisiane. En 1753, relevé de son poste de gouverneur de la Louisiane, Pierre de Rigaud de Vaudreuil retourne à Paris. Deux ans plus tard, il obtient le poste de Gouverneur-Général de la Nouvelle-France, alors que cela fait 12 ans qu'il n'y a pas un pas mis les pieds. Ce portrait a été réalisé lors du séjour du couple à Paris entre 1753 et 1755.


Pour terminer les portraits, en voici deux qui me laisse perplexe:


Portrait de jeune femme, dite Elisabeth de Beauharnais
Artiste Nicolas de Largillière
entre 1701 et 1711
Musée de Grenoble
Source: Collection des musée de France (Joconde)

Portrait d'une jeune femme, probablement Elisabeth de Beauharnais
Artiste Anonyme
Date début du XVIIIe siècle
Musée de La Rochelle
Source: Alienor.org Conseil des Musées



Ces portraits, je ne les avais pas inclus dans ma présentation originale car les sources ne sont pas claires à propos de ces portraits. Le premier semble avoir eu une autre attribution par le passé ( Portrait d'une dame de la famille de Barral) et est maintenant avec une attribution qui, à mon jugement, semble incertain. Le ''dite Elisabeth de Beauharnais'' laisse planer un doute à savoir s'il s'agit réellement ou non de la dame. Hors, Elisabeth de Beauharnais a été la femme de Michel Bégon de la Picardière, l'intendant de la Nouvelle-France qui a géré le rachat de la monnaie de cartes par le gouvernement de la colonie (intendant de 1710 à 1726). Les dates sont plausibles, sachant que le couple s'est marié en 1711 et qu'ils n'ont quitté pour le Canada qu'en septembre 1712. Dans l'état actuel de mes connaissances, je ne peux affirmer hors de tout doutes que la dame représentée est bel et bien Elisabeth de Beauharnais et qu'il s'agit de celle qui sera l'épouse de Michel Bégon de la Picardière. Le deuxième portrait du Musée de La Rochelle est nommé en fonction de la ressemblance des traits de la dame avec le premier. Le doute plane encore.

 

Et voilà, c’est à peu près tout ce que les portraits peuvent nous révéler sur les femmes en Nouvelle-France. La plupart représentent des dames de la très haute classe sociale de la Nouvelle-France soit par leurs vêtements ou par la fonction de leur maris. Les portraits ont tous été peints en France, à l'exception de celui de Louise Martel de Brouage, Mme Chaussegros de Léry. D'ailleurs, le portrait qui a longtemps été identifié à l'épistolière Mme Bégon appartient à une dame qui n'a jamais mis les pieds sur le continent américain. Les deux ex-votos représentant des femmes du peuple sont malheureusement peu détaillés dans la précision de l'oeuvre. Tous les quatre ex-votos ont été peints en Nouvelle-France. Il est difficile de tracer un continuum de l'évolution de la mode en Nouvelle-France à partir d'un si faible échantillons d'images.

 Qu’en est-il des sources écrites? La plupart des inventaires de l’époque ne notent que le type de vêtement soit un jupon, un bonnet, une paire de bas, une robe ou un mantelet sans plus de détails. Parfois, il y a un indicatif pour le type de tissus, du lin, de l’étamine, de la laine, du coton, de la soie, du velours… D’autres fois, il y a une couleur pour le vêtement. En somme, rien de tangible pour nous faire apprécier les variations dans les formes des vêtements durant la période de 1663 à 1763.

 

Cependant certains écrits nous révèlent une chose certaine: la volonté des dames de la vallée du St-Laurent à connaître et revêtir les nouveaux modes. Elle est décriée par le botaniste suédois Pehr Kalm, en visite dans la colonie entre 1749 et 1751.


Je le cite, en parlant des Canadiennes:

 

  «Elles ne portent pas moins d’attention aux modes nouvelles, et se moquent les unes des autres, chacune critique le goût de sa voisine. Mais ce qu’elles reçoivent comme nouvelle façon est déjà passé de mode et mis au rebut en France. Les vaisseaux ne venant au Canada qu’une fois tous les douze mois, on considère comme de mode, pendant toute l’année, ce que les passagers ont apporté avec eux, ou ce qui leur plait d’imposer comme étant du dernier goût. »

 

La colonie du Canada, au XVIIIe siècle, est l’espace occupé par la vallée du St-Laurent. Kalm relève avec justesse la lenteur de la communication entre la métropole et la Nouvelle-France sous le couvert de la mode. Le manque de communication l’hiver avec la métropole ne permet pas aux dames d’actualiser leurs tenues durant cette période, il est vrai. Mais ce manque de communication est présent pour tous les autres aspects de la vie en Nouvelle-France (lettres, ordonnances...). En réfléchissant à cette citation, on peut dire que la mode, lors de la saison chaude était en décalage de un à trois mois en Nouvelle-France par rapport à la France, soit le temps que prends un bateau à voile pour traverser l'Atlantique.


C'est grâce à cette affirmation que je peux me baser sur l'iconographie française pour illustrer l'évolution des vêtements en Nouvelle-France lors de mes prochains articles de cette série.



Mlle Canadienne


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Question de vocabulaire: casaquin, vêtement à plis ou sans plis?

Bonjour, Depuis plusieurs années je m'intéresse aux vêtements du XVIIIe siècle et je dois avouer qu'aucun mot ne m'a autant embr...