mercredi 12 mai 2021

Des Filles du Roy à la Conquête, chapitre 5: la robe à la française 1740-1763

 Bonjour,

Bienvenue dans l'avant dernier chapitre sur l'évolution des modes féminines durant la période de la Nouvelle-France, portant sur les robes à la française. La décennie 1740 a été le théâtre de la guerre de Succession d'Autriche, qui verra en 1745 la forteresse de Louisbourg tomber une première fois entre les mains des Britanniques avant d'être échangée contre les Pays-Bas autrichiens (l'actuelle Belgique) lors des négociations menant au traité de paix d'Aix-la-Chapelle de 1748.

Les plis caractéristiques de la robe à la française ont été hérités de la robe volante, qui a été décrite dans le chapitre 4 de cette série. L'originalité de la robe à la française est que dorénavant la taille est soulignée par la robe, alors qu'elle était dissimulée sous d'amples plis avec la robe volante.


Voici un des premiers tableaux où la robe à la française avec le soulignement de la taille apparait:

Le déjeuner
Artiste François Boucher
1739
Collection Musée du Louvres


L'emphase sur la taille, et sa minceur, est indéniable dans les tableaux suivants:


Madame d'Epinay et Madame de Meaux
Artiste: Louis Carrogis dit Carmontelle
Vers 1750-1760
Collection Musée Condée, Chantilly
Source: La Tribune de l'Art

Portrait d'une dame, dite être Mme Charles Simon Favard, née Marie Justine Benoîte Dumonceray
Artiste François Hubert Drouais
1757
Collection MET Museum




Les fameux plis du dos de la robe à la française, qui ont été nommés a posteriori des plis Watteau, étaient seulement nommés ''plis'' au XVIIIe siècle. Jean Antoine Watteau ne vécut pas assez longtemps pour voir ce que nous appelons la robe à la française, car il est décédé au début de la mode des robes volantes, soit en 1721. La robe à la française se distingue de la précédente, la robe volante, par le resserrement net de la taille sur le corps baleiné.

Le tableau de la Toilette de François Boucher montre la femme de chambre de dos. Les plis de sa robe sont légèrement plus larges que sa taille, augmentant l'illusion de minceur lorsque vue de côté ou de face. De plus, sa robe est portée ''retroussée dans les poches'', un style qui favorisait les déplacements et évitait de salir le bas des robes dans les rues boueuses des villes. Plusieurs voient ce ''retroussé dans les poches'' comme un prélude à la robe de promenade dite ''à la Polonaise'' des années 1770-1780.

La toilette
Artiste: François Boucher
1742
Musée Thyssen-Bornemisza




 Le manteau de la robe à la française est toujours ouvert à l'avant sur une pièce d'estomac et la jupe d'apparat. La plupart du temps, le manteau de robe, la pièce d'estomac et la jupe d'apparat sont faits dans les mêmes tissus. Il arrive que la pièce d'estomac soit de couleur différente mais complémentaire, assortie aux accessoires pour les manches ou de cheveux.

Portrait de femme tenant une tasse
Anonyme français,
XVIIIe siècle 
Collection du Musée d'Art et d'Industrie André Diligent
Source: Ministère de la culture, France


 Portrait de Madame de Sorquainville
Artiste: Jean Baptiste Perronneau 
1749
Collection du Musée du Louvre

Portrait d'une femme noble
Artiste: Donat Nonnotte
XVIIIe siècle
Collection privée
Source: De Artibus Sequanis



Occasionnellement, certaines robes à la française sont bordées de fourrures. Considérant que la Nouvelle-France était l'un des principaux fournisseurs de fourrures de l'Europe, il est plus que probable que celles-ci viennent de l'Amérique septentrionale.

Portrait de Mme de Brosse, fille de M. Briasson, échevin Lyonnais
Artiste: Donat Nonnotte
1758
Collection privée
Source: Artnet

Portrait d'une dame, dite être la Marquise de Beauharnais,
Artiste: Cercle de François-Hubert Drouais
Vers 1750-1760
Collection privée
Source: Christie's




 


Pour ce qui est des coiffures, vous l'aurez peut-être remarqué, celles-ci sont relativement inchangées par rapport à la robe volante. La tête ne prend que peu de volume, les cheveux sont poudrés et remontés sur la tête en chignon plat sous un bonnet. Certains bonnets, cornettes ou coiffes couvrent plus la tête que d'autres.

Portrait d'une femme avec son chien
Artiste: Donat Nonnotte
XVIIIe siècle
Collection privée
Source: Artnet

La coeffeuse
Artiste: Dominique Sornique d'après Étienne Jeaurat
XVIIIe siècle
Collection Rijskmuseum


Il est intéressant de constater que la coiffeuse de cette gravure présente un bonnet à la dame qu'elle visite plutôt que d'arranger directement ses cheveux. À l'instar de la domestique dans le tableau de ''la toilette'' de François Boucher plus haut, la coiffeuse de cette gravure porte sa robe ''retroussée dans les poches'', un moyen de préserver l'apparence du bas de la robe en marchant dans les rues boueuses des villes.



Les dames plus fortunées peuvent aussi se coiffer ''en cheveux'', c'est-à-dire en de petites boucles toujours près de la tête.  Voici deux exemples de dames coiffées ''en cheveux''.




Portrait de la Marquise de Gast
Artiste: Donat Nonnotte
Vers 1740-1750
Collection privée
Source: Artnet

Portrait de Claudine Flachon, fille de Claude Flachon, échevin de Lyon
Artiste: Donat Nonnotte
1750
Collection Privée
Source: Artnet


D'ailleurs l'expression coiffée en cheveux est utilisée dans la correspondance d'Élisabeth Bégon dans sa lettre du 27 janvier 1750, où elle décrit les ajustements de sa petite-fille lors de sa première sortie mondaine officielle à La Rochelle:

 ''Si tu eusses vu ta fille hier, cher fils, tu serais resté comme elle le fit à la vue de ce damas rose que tu lui donnas. Elle était coiffée en cheveux au mieux, avec un corps neuf qui lui fait la taille belle, de bonne grâce, et partit bien contente avec le la peine, cependant, de ne savoir point danser...''

Rappelons qu'Élisabeth Bégon est une épistolière née au Canada qui avait décidé de partir vivre en France.


La mode des coiffures en hauteur ne recommencera timidement que dans les années 1760 pour atteindre des sommets inégalés (au propre comme au figuré) avec Marie-Antoinette dans les années 1770. Une coiffure emblématique de cette période est la coiffure à la belle poule.



On ne peut évoquer la mode au milieu du XVIIIe siècle sans parler de la célèbre Mme de Pompadour, maitresse du roi Louis XV. 

Sketch pour un portrait de Mme de Pompadour
Artiste: François Boucher
Vers 1750
Collection Waddesdon Manor,  pièce Starhemberg 
Source: Wikimedia Commons




Portrait de Madame de Pompadour
Artiste François Boucher
1759
Collection Wallace, Londre
Source: Wallace Collection Blog

Sur les deux portraits de François Boucher sélectionnés, Mme de Pompadour porte une pièce d'estomac décorée d'une échelle de rubans, ainsi que se nomme l'ensemble de boucles de rubans. Des rubans attachés aux manches sont de la même couleur que ceux de l'échelle. Sous les manches se trouvent des engageantes de dentelles qui donnent du volume à la manche. Le manteau de robe, la jupe et les falbalas sont faits du même tissu. Elle est coiffée en cheveux, c'est-à-dire qu'elle ne porte pas de bonnet. 
 



Rappelons que le portrait de Mme de Rigaud de Vaudreuil, épouse du gouverneur-général du Canada, peint en France, la représente portant une robe à la française de brocard doré sur fond bleu.




Portrait de Madame Pierre de Rigaud de Vaudreuil, née Jeanne-Charlotte de Fleury Deschambault,
Attribué à Donat Nonotte 
vers 1753-1755
Copie de Henri Beau
Début du XXe siècle
Bibliothèque et Archives Canada

Moins connu, il existe un second portrait de cette noble dame de la Nouvelle-France, où elle porte également une robe à la française et joue de la guitare.

Madame de Rigaud de Vaudreuil, femme du commandant du Canada
Louis Carrogis dit Carmontelle
Vers 1753-1755
Collection du Musée Condé


En 2019, j'avais fait un article sur le parcours de vie de cette dame. Si cela vous intéresse, il est disponible ici: Jeanne Charlotte de Fleury Deschambault- Histoire de la femme derrière le portrait.

La robe à la française a été en vogue durant environ 35 ans, de 1740 à 1775 environ. Les originaux qui existent encore aujourd'hui sont majoritairement de la fin de cette période. Voici quelques exemplaires de la période nous intéresse.

Robe à la française
vers 1740
Musée des Arts décoratifs
Source: Google Arts & Culture




Robe à la française
vers 1740
Musée des Arts décoratifs
Source: Google Arts & Culture


robe à la française 
vers 1735
Collection privée
Source: Thierry de Maigret commissaire priseur

robe à la française 
vers 1735
Collection privée
Source: Thierry de Maigret commissaire priseur


Robe à la française
vers 1760
Collection MET museum



Étrangement, j'ai trouvé peu de peintures ou gravures illustrant un paysage ou une vue d'ensemble de cette période sur lesquelles il est facile d'identifier la robe à la française. Il faut dire que la majorité des dames de cette période sortent munies d'une petite cape, ce qui empêche d'apprécier la robe qui est dessous.



Vue du Château de Versailles du côté de l'orangerie
Artiste: Jacques Rigaud
Entre 1729 et 1752
Collection des Châteaux de Versailles
Détail de Vue du Château de Versailles du côté de l'orangerie
Artiste: Jacques Rigaud
Entre 1729 et 1752
Collection des Châteaux de Versailles


Détail de Vue du Château de Versailles du côté de l'orangerie
Artiste: Jacques Rigaud
Entre 1729 et 1752
Collection des Châteaux de Versailles





Vue du petit château de Choisy-le-Roy du côté de la cour
Artiste: Denis-Pierre-Jean Papillon de la Ferté
1760
Collection des Châteaux de Versailles


Détail de
Vue du petit château de Choisy-le-Roy du côté de la cour
Artiste: Denis-Pierre-Jean Papillon de la Ferté
1760
Collection des Châteaux de Versailles





Vue du petit château de Choisy-le-Roy
Artiste: Denis-Pierre-Jean Papillon de la Ferté
1760
Collection des Châteaux de Versailles




Détail de Vue du petit château de Choisy-le-Roy
Artiste: Denis-Pierre-Jean Papillon de la Ferté
1760
Collection des Châteaux de Versailles
Détail de Vue du petit château de Choisy-le-Roy
Artiste: Denis-Pierre-Jean Papillon de la Ferté
1760
Collection des Châteaux de Versailles


Détail de Vue du petit château de Choisy-le-Roy
Artiste: Denis-Pierre-Jean Papillon de la Ferté
1760
Collection des Châteaux de Versailles

Dans les gravures de Richard Short apparait une dame qui semble porter une robe à la française retroussée dans les poches. À moins que ce ne soit une demi-robe, la qualité de la numérisation ne me permet pas de me décider entre les deux hypothèses. Richard Short a fait en 1761 une série de gravures rendant compte des ravages de la guerre sur la ville de Québec .


Vue de la cathédrale, du collège des Jésuites et de l'Église des Récollets prise de la porte du Gouvernement
Artistes: Richard Short et Pierre-Charles Canot
1761
Collection du Musée National des Beaux-Arts de Québec


Détail de
Vue de la cathédrale, du collège des Jésuites et de l'Église des Récollets prise de la porte du Gouvernement
Artistes: Richard Short et Pierre-Charles Canot
1761
Collection du Musée National des Beaux-Arts de Québec

Une autre gravure de Short de la même série montre clairement une robe à la française retroussée dans les poches.

Vue du Palais épiscopal et de ses ruines, ainsi qu'elles paraissent en descendant à la Basse-Ville
Artiste: Ignace Fougeron d'après Richard Short
1761
Collection du Musée National des Beaux-Arts de Québec

Détail de
Vue du Palais épiscopal et de ses ruines, ainsi qu'elles paraissent en descendant à la Basse-Ville
Artiste: Ignace Fougeron d'après Richard Short
1761
Collection du Musée National des Beaux-Arts de Québec



C'est le 8 septembre 1760 avec la capitulation de Montréal que la Nouvelle-France tombe sous un régime militaire britannique. Il s'agit d'un régime temporaire et le continent nord-américain doit attendre la fin du conflit avec le traité de Paris de 1763 pour officialiser la cession du territoire de la Nouvelle-France à l'Angleterre.

C'est ainsi que se termine l'avant-dernier article sur la mode en Nouvelle-France. Le dernier portera sur les vêtements des habitantes et des paysannes durant cette période 1663-1763.


Mlle Canadienne










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