L'importance des mots... et de leur signification.
Dans mon article sur la ''tuque de voyageur'' j'ai cité Jean-Baptiste d'Aleyrac, un officier français qui servit en Nouvelle-France durant la guerre de Sept Ans de 1755 à 1760. Je remets ici sa citation:
« Il n'y a pas de patois dans ce pays. Tous les Canadiens parlent un français pareil au nôtre. Hormis quelques mots qui leur sont particuliers, empruntés d'ordinaire au langage des matelots, comme amarer pour attacher, hâler pour tirer non seulement une corde mais quelque autre chose. Ils en ont forgé quelques-uns comme une tuque ou une fourole pour dire un bonnet de laine rouge (dont ils se servent couramment). Ils disent une poche pour un sac, un mantelet pour un casaquin sans pli (habillement ordinaire des femmes et des filles), une rafale pour beaucoup de vent, de pluie ou de neige; tanné au lieu d'ennuyé, chômer pour ne manquer de rien; la relevée pour l'après-midi; chance pour bonheur; miette pour moment; paré pour être prêt à. L'expression la plus ordinaire est : de valeur, pour signifier qu'une chose est pénible à faire ou trop fâcheuse. Ils ont pris cette expression aux sauvages. »
Vous aurez deviné, ce que je veux mettre en évidence c'est les mots mantelet et casaquin. Au Canada, au 18ième, le mantelet désigne l'habit ordinaire des femmes. Les mots habits de femme et mantelets (avec les jupons, bien entendus) sont ceux qui reviennent le plus souvent pour les vêtements féminins dans les inventaires que j'ai vu.
Inventaire du Navire du Roy le Chameau: l'avant-dernier item nommé est un ''habit de femme de ... gris sans doublure'' tiré de État des effets et marchandises provenant du naufrage du navire du Roy le Chameau. |
Beaucoup d'archives en Nouvelle-France parle plutôt de mantelet:
Extrait de:
tiré des archives numériques de BANQ
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Le problème c'est qu'en France à la même époque, le mot mantelet désigne une petite cape pour femme, tel que décrit dans L'art du Tailleur de M. de Garsault.
Description textuelle et visuelle du mantelet par M. de Garsault
tiré de L'Art du Tailleur, 1769
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Dans le même ouvrage, M. de Garsault, pour désigner le vêtement nommé mantelet par les Canadiens, ne parle pas non plus de casaquin comme M. d'Aleyrac. Il parle de juste, qui serait un diminutif de justaucorps.
Description textuelle et visuelle du juste par M. de Garsault
tiré de L'Art du Tailleur, 1769
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Nous avons donc un même mot qui désigne une pièce de vêtement féminine différente selon l'aire géographique.
Pour résumer en France, on dit casaquin ou juste pour l'habit de femme et mantelet pour la petite cape.
En Nouvelle-France, on dit mantelet pour l'habit de femme et capote pour la petite cape.
Une vrai pagaille de vocabulaire!
(Pour ceux dont la concupiscence occupe l'esprit, plusieurs mots au 18ième siècle désignent les préservatifs, mon préféré est la redingote anglaise. Je n'ai pas vu de capote pour désigner cet objet dans les sources)
Un mantelet canadien; un casaquin ou juste français La fontaine, 1733 par Jean Siméon Chardin ( je n'ai pas trouvé le musée) Mise à jour 2019-09-21: Cette peinture se trouve au musée Tolédo Merci à Monique Picard pour l'information |
Deux mantelets français; deux capotes canadiennes La toilette du matin de Jean-Baptiste Siméon Chardin vers 1740 Musée National des Beaux-Arts de Suède, Stockholm |
Vous voyez bien que sans le premier extrait que j'ai cité de l'officier français d'Aleyrac, il est très facile de prendre des vessie pour des lanternes... Imaginez qu'une institution muséale fasse cette erreur et la partage avec le public. Qu'on présente les femmes de la Nouvelle-France comme des personnes ne portant que des petites capes, sans rien pour vraiment recouvrir le corset ou le corps baleiné! Il parait que c'est arrivé pour un musée qui fait de l'histoire vivante, que pendant quelques années les femmes portaient chemise, corset et mantelet, c'est tout! Puisque c'est une rumeur, je tairais le nom du musée en question. Preuve que la recherche n'est jamais vraiment terminée!
Petite digression sur les chemises
Il est de la décence en Nouvelle-France de recouvrir sa chemise. Au 18ième siècle, être vu en chemise équivaut à la même pudeur que d'être vu tout nu. En effet, les anecdotes des sources tendent à spécifier: il a paru nu en chemise, ou bien, il a paru nu sans chemise. D'ailleurs, un dicton de l'époque parle de ''cul et chemise'' pour deux personnes ou choses inséparables.
En imagerie médicale, pour les radiographies, il y a un dicton qui dit: ''one view is no view''. Cela signifie que pour avoir une idée de la fracture de l'os, il faut au minimum avoir deux plans de vision pour savoir si les structures ont été atteinte ou non. J'aimerais modifier ce dicton pour l'appliquer à l'histoire: une source c'est bien, deux c'est mieux... Mais plusieurs c'est meilleur! N'utiliser qu'une source pour documenter la pratique d'une époque doit se faire avec jugement car il y a plusieurs biais possible. Identifier ces biais fait parti du travail d'historien: qui est l'auteur, quel est son intention en fabriquant ce document, qui était le lecteur désigné, est-ce que les même lois s'appliquent en ville qu'à la campagne, etc. En fait, identifier les biais possible fait parti du travail de tout scientifique, peu importe la science étudiée!
Même si les ex-votos retrouvés de la période de la Nouvelle-France tendent à prouver que les Canadiens s'habillaient comme les Français de la même période, il est possible qu'il y ait eu des différences, tant dans le niveau lexical, comme je viens de le montrer avec le mantelet, que dans la coupe des vêtements. Certaines de ces différences sont notées dans les récits des voyageurs. Pehr Kalm, parmi tant d'autres visiteurs de la Nouvelle-France, note que les jupons sont plus courts (estimé à la mi-tibia) pour les Canadiennes par rapport aux Européennes.
Voilà, je voulais partager en détails les mots de vocabulaires désignant les habits communs de femme au 18ième siècle. J'espère que vous avez apprécié!
Même si les ex-votos retrouvés de la période de la Nouvelle-France tendent à prouver que les Canadiens s'habillaient comme les Français de la même période, il est possible qu'il y ait eu des différences, tant dans le niveau lexical, comme je viens de le montrer avec le mantelet, que dans la coupe des vêtements. Certaines de ces différences sont notées dans les récits des voyageurs. Pehr Kalm, parmi tant d'autres visiteurs de la Nouvelle-France, note que les jupons sont plus courts (estimé à la mi-tibia) pour les Canadiennes par rapport aux Européennes.
Voilà, je voulais partager en détails les mots de vocabulaires désignant les habits communs de femme au 18ième siècle. J'espère que vous avez apprécié!
Mlle Canadienne
Merci pour ce billet, Mlle Canadienne! Il est rassurant de voir que 25 ans plus tard une autre chercheuse arrive aux mêmes conclusions, de façon indépendante, que ma sœur Suzanne et moi avons publiées en 1995 dans "Lexique illustré du costume en Nouvelle-France, 1740-1760" (La Fleur de Lyse). Je noterais toutefois que la dame présentée dans le tableau de Chardin "La fontaine" porte plutôt un manteau de lit qu'un casaquin ou mantelet. Et pour ajouter à la confusion du vocabulaire, on trouve aussi des mantelets à homme en Canada, qui sont des vestes en France. Un lexique précis est à la base de toute recherche sérieuse sur la culture matérielle d'une société, surtout si on vise à en faire des reproductions pour utilisation en contexte muséal ou éducatif. Bravo pour votre excellent travail!
RépondreSupprimerMme Suzanne Gousse est une, sinon ''la'' référence en ce qui a trait au costume féminin en Nouvelle-France. Mes réflexions sont d'ailleurs grandement inspirées par son travail. Je devrais le mettre davantage en lumière... Je n'ai pas pensé à citer encore une fois votre lexique dans cet article mais sachez que c'est une référence précieuse et qu'elle aurait eu sa place. ( Je vous ai toutefois cité dans mon dernier article sur les perruquiers)
SupprimerQuant à la question du manteau-de-lit/mantelet du portrait de ''La Fontaine'' par Chardin, je maintiens que, pour moi, cette domestique porte un mantelet (canadien) parce qu'il y a une couture de visible au niveau de son épaule (et non à mi-chemin de l'humérus comme pour le manteau-de-lit) et que les basques sont fendues. Mais je peux toujours me tromper. D'ailleurs j'avais fait un article sur ce sujet en 2017: https://mllecanadienne.blogspot.com/2017/02/manteau-de-lit-ou-mantelet.html. C'était une auto-réponse à la confusion que j'avais suite à la lecture des références visuelles des patrons de mantelet de ''La Fleur de Lyse'' et de manteau-de-lit de ''Kannick' Korner'' qui étaient les mêmes pour deux vêtements différents!
Je vous remercie pour votre commentaire.