dimanche 22 septembre 2019

Les clichés sur les amérindiens véhiculés dans le film ''Le dernier des Mohicans''

Bonjour!

Dernièrement, avec mon amoureux Michel Thévenin, auteur du blog Tranchées et Tricornes, nous avons visionné le film '' Le dernier des Mohicans'' du réalisateur Michael Mann, sorti en 1992.  D'ailleurs ce visionnement a mené à la publication de cet article sur la représentation des différentes techniques de siège  et de celui-ci sur la reddition du fort William-Henry.

Une chose m'a frappé lors de ce visionnement: la représentation des Amérindiens selon qu'ils sont alliés ou ennemis des protagonistes ( les Britanniques dans cette histoire).

Ce film montre que les tribus amérindiennes deviennent alliés des Européens, et donc, ils sont soit de bons Autochtones alliés aux Britanniques (les Mohawks) ou de mauvais Amérindiens ennemis (les Hurons). Cette dualité s'exprime aussi dans leurs tenues vestimentaires et de façon que je trouve implicite et réductrice. Les méchants Amérindiens ennemis sont majoritairement représentés portant seulement le brayet avec des mitasses courtes, ce qui laisse voir beaucoup de peau. Cette relative nudité nourrit la narration du film, les rendant plus ( et je mets des gros guillemets) ''sauvages et imprévisibles''. Par opposition, les gentils Autochtones alliés, portent aussi le brayet mais avec une chemise et la mitasse longue, ce qui les rends obligatoirement plus ''civilisés'' car plus proche du vêtement européen.

Les trois héros du film sont des Mohicans,  j'en reparlerais à la fin de cet article.


Si les vêtements en soi sont acceptables pour les Amérindiens en général d'un point de vue historique, la tendance à l'uniformisation des nations selon leurs allégeances sert davantage la narration du récit que la représentation juste des Amérindiens.

N'ayant qu'une idée vague des différences des tribus amérindiennes de l'époque, j'ai cherché dans l'iconographie pour savoir si la manière de représenter les Hurons et les Mohawks dans le film de Michael Mann est similaire ou différente des représentations du 18ième siècle.


D'abord, comparons les antagonistes Amérindiens du film, les Hurons, à une représentation datant du 18ième siècle.

Commençons avec des captures d'écran du film.


Magua et les Hurons durant la capitulation du fort William Henry
Magua et les Hurons en embuscade

Les Hurons en embuscade de dos

Magua et les Hurons s'apprêtant à capturer les survivants britanniques
Retour au village huron avec les captifs britanniques

Nathanael se présentant au village Huron

 Je dois toutefois souligner que plus nous approchons d'un contexte de village pour les Hurons, plus ceux-ci sont habillés. La représentation sans chemise serait peut-être plus liée à la représentation des Hurons en guerre plutôt que leur habit quotidien... Puisque le contexte de guerre est celui sous lequel les Hurons nous sont présentés dans ce film, cela expliquerait pourquoi ils sont majoritairement ''nus''. Les Hurons du films sont les belligérants qui refusent d'enterrer la hache de guerre, les représenter plus dénudés renvoie à une image plus primitive, plus proche de la Nature.

Alors comment les Hurons sont-ils illustrés dans les documents datant du 18ième siècle? Je n'ai trouvé que deux sources illustrant les Hurons.


Hurons de 1710
Tiré des Archives de Montréal

Si cette première représentation est assez similaire avec cette du film ''Le dernier des Mohicans'' elle est aussi plus ancienne d'une quarantaine d'années. L'action du film se déroule en 1757 alors que l'image est de 1710.



Aquarelle représentant une Huronne et un Huron
vers 1750-1770
Tiré des Archives de la Ville de Montréal

Cette image est un peu plus contemporaine à la prise du William Henry (fort Georges pour les Français). Elle représente des Hurons domiciliés au village de Lorette, en périphérie de Québec. Dans les années 1750, les Hurons sont majoritairement domiciliés au village de Lorette. (Oubliez le village Huron aux environs du fort dans le film, c'est une aberration géographique)

On voit le port de bijoux de métal, à la poitrine, aux oreilles et au bras apparent, une chemise couvrant le bras et la poitrine du huron, des mocassins et des mitasses. Son habillement est recouvert par ce qui me semble être une couverture mais pourrait être un vêtement dont j'ignore le nom et la signification. Visuellement très différent du chef de guerre Magua qui veut la mort de ''Cheveux Gris'' et de ses compatriotes durant la grande majorité du film.


Ensuite, comparons les Mohawks représentés comme les alliés des Britanniques dans ce film avec une représentation du 18ième siècle.


Chef Mohawk prêtant allégeance à la Couronne Britannique

Mohawks en attente dans le fort William Henry
Mohawks en attente dans le fort William Henry
Mohawks, soldats et civils britanniques sur les remparts du fort William Henry durant les négociations de la capitulation du fort


Mohawks parmi le groupe durant l'évacuation des Britanniques du fort
En rose: les Mohawks
En blanc: les trois Mohicans

Mohawks parmi le groupe durant l'évacuation des Britanniques du fort
En rose: les Mohawks
En blanc: les trois Mohicans

Dans les captures que j'ai prises, il n'y a que lors de l'évacuation du fort des Britannique que l'on voit un Mohawk torse nu, seulement sur la dernière capture d'écran, troisième en partant de la droite. Il y a deux scènes que je n'ai pas voulu inclure à cause de leur contexte particulier: la scène de jeu de baggataway (ancêtre de la crosse) où colons Anglais et Amérindiens se bataillent pour la balle de baggataway torse nu et le moment où ils se font réveiller en plein milieu de la nuit où effectivement il y a de la poitrine masculine d'exposée de la part des Mohawks. Je n'ai pas inclus ces moments parce que je les trouvais non représentatifs.

J'ai retrouvé peu de représentations des Mohawks ou des Agniers (selon les sources, le nom pour décrire cette Nation diffère) précisément mais surtout de la grande famille à laquelle cette tribu appartient: la Confédération Iroquoise. Traiter de Nations Autochtones est quelque chose de difficile, surtout lorsque, comme moi, on ne connait que peu les différences entre les tribus et les Nations. Un grand merci au regard anthropologique de mon amie Cathrine Davis, qui a fait la révision de cet article.

La Confédération Iroquoise était formée de Cinq Nations lors de leur alliance initiale au 16ième siècle. Ces Nations sont les Senecas (aussi appelés Tsonnontouans ou Sonnont8hronons) , les Cayugas (Cayougas, Goyogouins ou Guyohkohnyos) , les Onondagas (Onontagués ou Onondagues), les Oneidas  ( ou Onneiouts) et les Agniers ( Kanien'keha:ka, Mohawks ou Maquas). À ces Cinq Nations s'est jointe une sixième au cours du 18ième siècle, officiellement en 1722: les Tuscaroras ( Touscaroras). Ces nations possèdent des caractéristiques linguistiques (on parle de langue Iroquoise) et matérielles similaires quoiqu'ils différent quelque peu. Quelques exemples de caractéristiques iroquoises: fabriquer des maisons longues, avoir des familles matrilinéaires.

Petit fait à souligner, les Hurons parlent aussi une langue iroquoienne mais n'avaient plus de contacts fréquents avec la Confédération Iroquoise et sont donc considérés comme une Nation à part.

La majorité des images d'époque d'Amérindiens que j'ai trouvées représentent les Iroquois sans préciser leur Nation. Je vais donc comparer ces images aux Mohawks du film.


Je dois aussi préciser que je ne sais dans quel but les images ont été produites en premier lieu: effrayer la communauté européenne sur les peuples de l'Amérique du Nord ou les informer, simplement. Le dessinateur a-t-il été en contact direct avec les Nations ou fait-il les illustrations sur le témoignage d'une autre personne? Ce sont des questions qu'on est en droit de se poser et je n'ai pas fait de recherche pour y répondre. Toujours est-il que les représentations faites des Autochtones à cette époque sont probablement celles qui sont le plus susceptibles de ressembler à la réalité du 18ième siècle. 


Sauvage Iroquois, 1736?
Tiré des Archives de la Ville de Montréal
Iroquois allant à la découverte, 1739?
Tiré des Archives de la Ville de Montréal

Guerrier Iroquois, 1746?
Tiré des Archives de la Ville de Montréal

Grand Chef de guerriers Iroquois, 1744?
Tiré des Archives de la Ville de Montréal
Les quatre gravures précédentes montrent des Iroquois portant majoritairement le brayet et les mitasses comme tout vêtement avec beaucoup d'accessoires. Dans le film, les Mohawks ont très peu été représentés de la sorte. Pour sa part,  le grand chef des guerriers Iroquois, porte seulement la chemise, une ceinture décorative et un justaucorps richement décoré. Même le chef Mohawk du début du film ne porte qu'une couverture en plus de sa chemise, son brayet et ses mitasses.

Les prochains portraits sont des portraits de chefs Mohawks connus

Le chef Mohawk
Thayendanegea or Joseph Brant,
 painted by Gilbert Stuart, 1786
Wikipedia
Plus contemporain de la guerre d'indépendance Américaine, Joseph Brant était un allié des Britanniques dans le conflit opposant les treize colonies américaines à l'empire Britannique. Pour plus de détails sur la biographie de ce Mohawk Loyaliste, je vous suggère ce lien, cliquez ici.

Aucun des Mohawks montrés dans le film n'arbore une coiffe de plumes, ni des anneaux de métal comme sur ce portrait.


Sagayenkwaraton, Roi des Maquas, Iroquois
Artiste: John Verselst
1710
Bibliothèque et Archives Canada
Bien que daté de 1710, ce portrait est très intéressant pour plusieurs raisons. Il fait partie d'une série de quatre portraits demandés par la reine Anne d'Angleterre à l'occasion de la délégation de quatre chefs autochtones venu à Londres pour demander l'aide des Britanniques pour repousser les missionnaires catholiques Français. La population londonienne les nomme les quatre rois ''Indien''. Pour plus de détails sur le contexte de la réalisation de ces oeuvres, vous pouvez consulter cet article (en anglais).

Des quatre rois Amérindiens, le roi des Maquas (Mohawks) est celui qui présente le plus de tatouages, sur les bras, la poitrine et le visage. Son habit est une simple chemise avec une ceinture nouée à la taille. Ses mocassins sont ornés de broderies ou de perles. Aussi je ne sais pas ce qu'est la décoration sur les oreilles qui ressemble à de la laine de mouton. La couverture rouge est un cadeau de la reine Anne qui voulait qu'on les identifie comme de la royauté. Ils ont été accueillis comme tel en Angleterre. Même commentaire que pour la première illustration des Hurons, elle date de quelques décennies avant le conflit de la Guerre de Sept Ans.


Finissons avec les trois héros du film: les trois Mohicans. Les Mohicans sont un peuple issu de la famille des Algonquins, de la même manière que les Mohawks sont issus des Iroquois. Dans le film, ils portent à peu près la même tenue que les Mohawks alliés aux Britanniques dans le film.

En avant-plan: les trois Mohicans

Chemises colorées facilement reconnaissables assorties à des mitasses longues.

Le seul portrait d'époque de la Nation Mohican que j'ai trouvé fait partie des quatre Rois ''Indiens'' de la Reine Anne de 1710.

Etowaucum, Roi de la Nation de la Rivière, Mohican
Artiste: John Verselst
1710
Il porte un sabre à la ceinture, un casse-tête de bois pour montrer ses capacités guerrières. Il a un subtil tatouage au visage. Il est vêtu d'une simple chemise et porte des mocassins.


Ce que je voulais montrer avec cet article:

  • Nous ne connaissons pas bien les différentes Nations Autochtones en Amérique du Nord
  • Les Autochtones n'avaient pas d'habit uniformes et leur représentations varient d'une source à l'autre et d'une tribu à l'autre
  • La représentation du film ''Le dernier des Mohicans'' à propos des Amérindiens sert à raconter l'histoire sans nécessairement se baser sur les iconographies de la même période
Il est certain que le film ''Le dernier des Mohican'' sort des sentiers battus en représentant les Nations Autochtones habillés en tissu plutôt que de cuir comme le veut le cliché Hollywoodien sur les Amérindiens.

Ce que je suis surprise de ne pas avoir trouvé dans mes recherches jusqu'à présent: des représentations d'époque d'Autochtones avec de la fourrure comme vêtement. Puisque ce ne sont que des vêtements d'hiver, il est possible que cela soit la raison pour laquelle aucune image des manteaux Amérindiens n'aient été produite.  Je reviendrais sur le commerce des peaux de fourrures dans un autre article, je sens que je m'égare.

Pour terminer, j'aimerais partager les représentations de deux autres Nations Amérindiennes, pour souligner la diversité de leurs vêtements!




 Aquarelle représentant une Abénaquise et un Abénaquis
Vers 1750-1780
Tiré des Archives de la Ville de Montréal


Aquarelle représentant une Algonquine et un Algonquin
Vers 1750-1780
Tiré des Archives de la Ville de Montréal

Voilà! J'espère que cet article qui m'a sorti de ma zone de confort vous aura plu. Merci à mon amoureux Michel Thévenin pour son aide à la relecture de cet article. Mon français ne fait que s'améliorer lorsque surveillé par mon Français préféré!


Mlle Canadienne




2 commentaires:

  1. Pour faire l'avocat du diable, les Hurons sont en torse nu en contexte de bataille, alors que dans le village, ils sont habillés. C'est tout de même des réflexions intéressantes qu'il faut se poser sur la représentation des autochtones au cinéma!

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    1. Ce n'était peut-être pas assez mis en évidence dans mon article, mais oui, plus les Hurons se rapprochent du village dans le film, plus il y en a qui portent des chemises. Et dans le village, la majorité des Hurons sont habillés, la plupart de ceux qui sont encore torse nu reviennent de guerre avec Magua.

      Le point positif de ce film par rapport aux vêtements Amérindiens, c'est qu'ils sont tous fait en tissu, mettant en valeur l'apport commercial important qui existait entre les Européens (qui veulent des fourrures de castors et autres bêtes) et les Amérindiens (qui veulent du cuivre, des perles de verres et surtout du tissu).

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