dimanche 13 décembre 2020

Monnaie de cartes, une histoire de fonds



Bonjour,

J'aimerais partager mes nouvelles connaissances sur la monnaie de cartes avec cet article. Au départ, je voulais reproduire de la monnaie de cartes pour mes reconstitutions et mes amis. Mais le projet s'est avéré beaucoup plus compliqué que prévu et j'aimerais vous expliquer pourquoi. J'ai ouvert une boite de Pandore en m'intéressant d'un peu trop près à la monnaie de cartes.

Monnaie de cartes
Entre 1742 et 1757
Source: Collection et Archives de Place Royale




D'abord, je remercie sincèrement Emmanuel Bernier pour son aide précieuse pour la réalisation de cet article ainsi que sa relecture. Merci beaucoup. Emmanuel a étudié la pénétration de la monnaie de cartes dans l'espace rural dans la vallée du St-Laurent entre 1685 et 1743 lors de sa maîtrise à l'Université Laval. Ce lien vous mènera à une entrevue qu'il a faite sur son mémoire à l'émission radiophonique 3600 secondes d'histoire du 20 mai 2020.

Ensuite, je tiens à préciser que ces informations s'intéressent plutôt à la vallée du Saint-Laurent bien que la Nouvelle-France s'étendait jusqu'à la région des Grands Lacs et la Louisiane.

Connaissez-vous la monnaie de cartes?

Pour plusieurs, moi y compris avant de vraiment m'intéresser au sujet, la chose est simple. En Nouvelle-France, la monnaie sonnante a manqué et les institutions ont pallié ce manque en écrivant sur des bouts de cartes à jouer qui furent alors utilisées comme monnaie courante: la monnaie de cartes. Cette affirmation est seulement partiellement véridique et mérite les nuances et approfondissements de ce long article.

Première chose à savoir sur la monnaie de cartes, il y a eu deux périodes d'émission de monnaie de cartes, entrecoupées d'une période d'interdiction entre les deux. La monnaie de cartes n'a pas été la seule monnaie de papier de la colonie. À la fin du régime français, elle ne représentait qu'un faible pourcentage, soit 3,8% selon Emmanuel Bernier, de la monnaie de papier en circulation, alors que les lettres de change et les ordonnances étaient majoritaires.

J'avais déjà fait un article traitant de la différence entre les différents types de papier-monnaie dans  cet article: Les perruquiers en Nouvelle-France.


À gauche: Ordonnance de 1753
À droite: Lettre de change de 1759
Source: Banque du Canada



Première période d'émission: La monnaie de cartes sur cartes à jouer (1685 à 1714)

C'est la période où la monnaie de cartes existe telle qu'inscrite dans l'imaginaire collectif: c'est-à-dire des cartes à jouer au dos desquelles est inscrit le montant qu'elles représentent. Lorsque l'intendant Jacques de Meulles arrive dans la colonie du Canada en 1682, il hérite d'une colonie aux prises avec les guerres menées contre les Iroquois. La colonie, qui importe beaucoup plus de biens (en valeur monétaire) de la France qu'elle peut en exporter avec ses matières premières (essentiellement la fourrure et la morue) se trouve continuellement en carence d'espèces sonnantes. Avec l'arrivée importante de compagnies militaires pour défendre la colonie, le manque de monnaie pour payer tout ce beau monde se fait sentir de plus en plus. En 1685, la pénurie d'argent sonnant devient trop importante. Pour acquitter la solde des militaires en attendant le renflouement des coffres avec l'arrivée des navires, l'intendant Jacques de Meulles fait la première émission de monnaie de cartes: toutes ces cartes seront rachetées et brûlées par les autorités dans les trois mois qui ont suivi sa diffusion. Cette astuce, censée être temporaire, sera répétée les trois premières années d'utilisation de la monnaie de cartes, le rachat des cartes se faisait entièrement à chaque année. Voir ce document rendant compte de la fabrication de monnaie de cartes par l'intendant Jacques De Meulles le 24 septembre 1685.


Le nouvel intendant, Jean Bochard, Chevalier Seigneur de Champigny, arrive à l'automne 1686. Aucune preuve ne permet de savoir si de la monnaie de cartes a été émise pour ses deux premières années d'intendance, soit 1687 et 1688.  La dernière décennie du 17e siècle se déroule dans un contexte de guerre, celle de la ligue d'Augsbourg (1689-1697). Les répercussions de cette guerre sont plus connues au Québec par le siège de Québec fait par le général Phipps du Massachussetts et la réponse célèbre de M. de Frontenac à l'émissaire de ce dernier: « Je n'ai point de réponse à faire à votre général que par la bouche de mes canons et à grands coups de fusils ». La colonie est aux prises, une fois de plus, avec des problèmes financiers pour payer un peu tout le monde.

gravure illustrant la bataille de Québec de 1690
Auteur Charles Van Tenac
1847
Source: Gallica



En novembre 1689, soit l'année précédant le siège de Québec, Louis de Buade, comte de Frontenac, signe une ordonnance avec l'intendant Jean Bochard de Champigny. Cette ordonnance officialise l'usage de la monnaie de cartes pour payer les troupes et en interdit la contrefaçon. Voir ce document dans BANQ pour plus d'information sur cette ordonnance. La valeur des cartes (nom abrégé aussi donné à la monnaie de carte) est inscrite sur elles et est officialisée par trois signatures: celle de l'intendant, celle du gouverneur et celle du commis du trésor. Les premières traces des émissions de monnaie de cartes de l'intendant Bochart de Champigny sont datées de 1689. Rien ne nous permet de savoir si elles sont encore  rachetées annuellement.


Les auteurs de contrefaçons étaient sévèrement punis.  Ce document détaille la sentence du chirurgien Pierre Malidor pour avoir contrefait une seule carte de quatre livres. Le 7 mars 1690, le fautif est condamné à être « battu et fustigé, nu, de verges sur les épaules, par l'exécuteur de la haute justice (bourreau) de la porte du Palais jusqu'à celle de la paroisse Notre-Dame-de-Québec (aujourd'hui la cathédrale-basilique), aux carrefours et lieux accoutumés, en chacun desquels il récupère six coups de fouet; il doit aussi restituer le prix desdites cartes contrefaites et payer la somme de 10 livres envers Sa Majesté (Louis XIV) et servir de force un habitant pendant trois ans ». Ces punitions ont l'intention d'être dissuasives. Par contre, le document n'indique pas comment l'habitant qui sollicite l'aide de Pierre Malidor sera choisi.



Détail de L'estrapade
gravure de Jacques Callot
La collection Les grandes Misères de la Guerre
1633
Source: Wikipedia



Mais pourquoi avoir utilisé des cartes à jouer?

Les ressources de la colonie sont restreintes. Les cartes à jouer sont faites de carton solide, fait pour résister à de fréquentes manipulations. Elles sont apparues comme le médium le plus résistant et abordable dans le contexte de la colonie débutante.





Reproductions de monnaie de cartes par l'artiste Henri Beau
Vers 1900
Source: Bibliothèque et Archives Canada


Malheureusement, il m'est impossible de savoir quelles bases historiques ont été utilisées par l'artiste Henri Beau, au début du siècle dernier,  pour illustrer le fait que différentes valeurs de monnaie étaient représentées par différentes formes et dimensions de carte. L'idée est plausible dans le sens où une grande partie de la population étant illettrée, cela faciliterait la reconnaissance des valeurs. Aussi, couper les cartes en fonction de leurs valeurs décrites mène à une économie de papier, ce qui dans un contexte de pénurie générale de matériel est logique. Cependant je n'ai pu trouver de sources primaires qui corroborent cette idée. De plus, les sources indiquent des valeurs différentes comme mentionné plus loin. Aussi, à ma connaissance, aucune monnaie de cartes faite sur carte à jouer n'a survécu jusqu'aujourd'hui. Je reviendrai plus tard sur ce point.
 
De 1703 à 1705, le poste d'intendant de la Nouvelle-France est occupé par François Beauharnois de la Chaussaye, baron de Beauville. Il participe à la fabrication et à la distribution de monnaie de cartes durant son mandat.

Jacques Raudot et son fils Antoine-Denis s'occupent de l'intendance de la Nouvelle-France à partir de  1705. Il s'agit du seul cas où la charge d'intendant est occupée par deux personnes. Cependant la plupart des documents officiels étaient signés uniquement par Jacques Raudot. Une de ses premières ordonnances est de reconnaître la validité de toutes les cartes signées par les intentants précédents.  Pour plus de détails, voir cette ordonnance dans les Archives de BANQ. Les intendants Raudot, père et fils, sont en poste durant une période de guerre, celle de la succession d'Espagne (1701-1714). Les répercussions les plus connues de cette guerre en Nouvelle-France sont la perte de la moitié de l'Acadie ainsi que de l'île de Terre-Neuve en faveur de l'Angleterre. Les intendants Raudot régulent aussi le paiement des droits d'entrée sur le tabac, les vins et l'eau-de-vie afin qu'ils soient faits en monnaie de France. Voir cette ordonnance du 7 septembre 1705 pour plus de détails.

La présence de la monnaie de cartes comme monnaie alternative au sein de la colonie lui fait connaître une inflation importante, jusqu'à être sous-évaluée par rapport à la monnaie sonnante. Cette inflation favorisait l'utilisation de la monnaie de cartes dans la colonie.

Il semble que les cartes étaient comptées et brûlées lorsqu'elles revenaient entre les mains du gouvernement, comme en témoigne ce document du 29 novembre 1705. Il est intéressant de noter la grosseur des coupures des cartes dans ce document: 32 livres, 16 livres, 4 livres, 40 sols et 20 sols.

Selon la biographie de Jacques Raudot, une querelle entre lui et le gouverneur Vaudreuil dans les dernières années de son intendance lui fit demander son rappel en France dès 1709. Il aura l'autorisation de quitter sa fonction en 1711 sous condition de partir en bons termes avec le gouverneur Vaudreuil. Malgré cette animosité, la fabrication de monnaie de cartes devait porter l'approbation de l'intendant et du gouverneur de la Nouvelle-France (en 1711 respectivement Raudot et Vaudreuil) en plus de celle du Trésorier de la Marine (Duplessis) comme le montre ce bordereau de nouvelle monnaie de cartes fabriquée en l'année 1711. Ce document est intéressant car il montre que la valeur des cartes créées est de 100 et 50 livres, des sommes plus importantes que celles détruites en 1705.

Michel Bégon de la Picadière ne s'embarqua qu'à l'automne 1712 pour remplir sa fonction d'intendant à la suite de Jacques Raudot bien qu'il fut nommé en 1710. Son arrivée sera marquée par un évènement exceptionnel: l'incendie du palais de l'intendant de Québec en janvier 1713.


Québec, vue du nord ouest
Sieur de Fonville
1699
Source: Archéolab Québec


Il semble que ce n'est qu'à cette occasion que la cour de Versailles ait été mise au courant de l'utilisation de la colonie des cartes pour pallier au manque de monnaie sonnante en Nouvelle-France. L'intendant Bégon fait un compte-rendu des pertes de l'incendie du Palais de l'Intendant et dénonce la « cherté des marchandises en raison du discrédit de la monnaie de cartes » dans ce document de 1713.


Détail de la peinture sur le grand incendie de Londres de 1666
Artiste inconnu
1675
Source:Wikimedia Commons

La réponse de Versailles est immédiate en juillet de la même année (enfin, immédiate pour les moyens de l'époque) et sans équivoque: le recours à la monnaie de cartes par la colonie doit cesser et le roi ordonne d'en diminuer son utilisation. Il faut dire que 1713 est une mauvaise année pour l'économie du Royaume de France. La guerre de succession d'Espagne qui se termine avec la signature du traité d'Utrecht le 11 avril 1713 laisse le royaume avec une dette importante. La nouvelle de l'endettement de la colonie à l'insu du roi au moyen de la monnaie de cartes n'est donc pas bien accueillie. Rappelons-le le Traité d'Utrecht a permis à Louis XIV de mettre son petit-fils sur le trône d'Espagne à condition que ce dernier renie ses prétentions au trône de France. En Amérique, l'Angleterre prend possession de la moitié de l'Acadie et de Terre-Neuve (en plus d'une reconnaissance officielle de sa souveraineté sur la Baie d'Hudson) grâce à ce traité, réduisant grandement la taille des colonies de la Nouvelle-France.


La confiance des habitants en la monnaie de cartes s'effrite, comme le montre ce compte-rendu de procès du 26 novembre 1714. Le curé de Champlain, Pierre Hazeur, Sieur Delorme, demande à ce que Madeleine Raclos accepte d'être payée en monnaie de cartes pour la somme de 3586 livres et 4 sols selon un billet daté du 2 novembre 1713 (la dette est latente depuis un an). Madeleine Raclos, représentée par son mari Nicolas Perrault, veut être payée en espèces sonnantes. La cour tranche, Madeleine Raclos ne peut exiger d'être payée en espèces sonnantes et doit accepter la monnaie de cartes du curé Pierre Hazeur. Si elle refuse, elle sera consignée au greffe à ses risques et périls. Aussi, Nicolas Perrault est « condamné aux dépens taxé à 4 livres et 2 sols, monnaie de France ». En d'autres termes, le couple est obligé d'accepter le paiement en monnaie de cartes mais doit payer la cour de justice en espèces courantes... Deux poids, deux mesures.



L'entre-deux: le gouvernement de la Nouvelle-France retire progressivement la monnaie de cartes présente dans les marchés de la colonie (1714 à 1729)


Durant l'incendie du Palais de l'Intendant, aucun document ne fut épargné par le brasier. Impossible pour le nouvel intendant Bégon de rendre des comptes exacts sur la production et mise en circulation de la monnaie de cartes dans la colonie par ses prédécesseurs. Aussi les membres du Conseil souverain multiplient les compte-rendus sur les cartes à partir de 1714, à savoir combien de cartes ont été retournées et brûlées par le Conseil Souverain. Voici un de ces compte-rendus de 1714 en deux exemplaires.

Dès 1715, des mesures sont mises en place pour récupérer l'ancienne monnaie de cartes pour la remplacer par de la nouvelle ou des lettres de change et ainsi permettre un meilleur contrôle et une meilleure connaissance de la valeur de la monnaie de cartes en circulation dans la colonie. Dans cette ordonnance, l'intendant Bégon avise de faire changer l'ancienne monnaie de cartes auprès du Trésorier de la Marine, le sieur Petit et que la monnaie de cartes n'aura plus cours.

Cependant entre les intentions de l'intendant Bégon et les fonds fournis par la Marine via le Trésorier Petit, il y a un monde. En effet, pour l'année 1714, Bégon a fourni des lettres de change payables en 1715 ( pour la somme de 160 000 livres) et en 1716 (pour la somme de 158 055 livres). En 1715, le Trésorier de la Marine n'a que 33 000 livres pour faire le remboursement des lettres de change que Bégon a fait l'année d'avant, laissant le gouvernement de la colonie avec une dette envers les habitants de 127 000 livres pour 1715. Du moins, c'est ce qu'il écrit dans ce mémoire sur la monnaie de cartes de 1715. Bégon demande à ce que les fonds manquants soient versés au Trésorier de la Marine.

Le 16 août 1716, une ordonnance de l'intendant Bégon demande à tous les habitants ayant encore en leur possession l'ancienne monnaie de cartes de trente-deux livres signée par messieurs de Champigny ( intendant de 1686 à 1702), de Beauharnois (intendant de 1702 à 1705) et Raudot (intendant de 1705 à 1711) de les porter avant le 1er septembre de la même année au sieur Petit à Québec, au sieur Berey à Montréal et au sieur de Tonnancour à Trois-Rivières. Cette ordonnance vise a changer l'ancienne monnaie de cartes par de la nouvelle, celle-ci signée par les membres du gouvernement actuel. À partir du 1er septembre 1716, il sera illégal de faire une transaction avec l'ancienne monnaie de cartes telle que mentionnée plus haut. Le délai entre l'émission de l'ordonnance et la fin de la validité de la monnaie de cartes est de deux semaines, ce qui me semble assez court. Je trouve intéressant que bien que les cartes, pour être valides, avaient besoin d'être signées par l'intendant et le gouverneur de la Nouvelle-France ainsi que par le Secrétaire d'État à la Marine, dans cette ordonnance, seules les signatures des intendants sont mentionnées.

En 1717, les rapports de finances comprenant le remboursement de la monnaie de cartes par des lettres de change sont multiples. Le 6 novembre, le trésorier Gaudion fait un État général des lettres de changes tirées en 1717 tant pour la monnaie de cartes, des dépenses des anciens exercices que pour celles des dépenses des six derniers mois de 1716 et des six premiers de 1717.  Ce document liste ceux qui ont reçu des lettres de change durant cette période. Le 10 décembre de la même année, à Québec, est écrit ce document qui rend compte de la monnaie de cartes récupérée par le gouvernement en 1716 et qui a été brûlée. Le plus intéressant dans ce document est de voir que les cartes sont nommées selon leur date d'émission, l'intendant qui les a signées et leur valeur. Ainsi, il informe que des cartes émises par l'intendant Bochart de Champigny à la fin de son mandat, intendant de 1687 à 1702, étaient toujours en circulation en 1717. Ce document informe aussi de la dévaluation ''officielle'' de la monnaie de cartes en faisant un équivalent de la somme de monnaie de cartes brûlées, dite monnaie du pays, à une somme en monnaie de France. Ainsi, une livre en monnaie de France vaut 1,18 livres du pays.

Cette dévaluation n'empêche pas les faux-monnayeurs de fabriquer des contrefaçons de cartes en 1717, comme l'explique l'historien Jean-François Blais dans cette vidéo publiée dans le cadre virtuel des Fêtes de la Nouvelle-France 2020. Jean-François Blais est l'auteur des capsules audios et vidéos 104 Histoires de Nouvelle-France. Les faux-monnayeurs, condamnés à mort, se sont échappés de prison au printemps 1718 et n'ont plus jamais laissé de traces dans la colonie...

Gravure illustrant l'évasion de François de Vendôme, duc de Beaufort, en 1648
Par Caspar Luyken
Source: Rijksmuseum




En 1718, le roi Louis XV déclare que la monnaie de cartes perd la moitié de sa valeur. Le roi est âgé de 8 ans à ce moment et règne depuis seulement trois ans. Le royaume de France est sous la régence de Philippe d'Orléans, grand-oncle de Louis XV.

Louis XV
Par Hyacinthe Rigaud
1718
Source:Les collections du Château de Versailles

En 1718, Piclinou, un Autochtone de la Nation des Kiakionnas, et un habitant de Grondines, Laurent Hamelin sont accusés d'avoir contrevenu au règlement du conseil supérieur du Canada interdisant d'aller chasser dans les bois ou d'y apporter des marchandises propres à la traite sans le congé ou la permission du gouverneur général. Les biens confisqués lors de leur arrestation seront vendus au profit de l'Hôtel-Dieu de Trois-Rivières, moins un 150 livres en monnaie de cartes pour les frais du procès et la capture des défendeurs. Plus d'informations sur ce procès dans ce document.

Détail de la cartouche
A map of the Inhabited Part of Canada from the French Surveys;
 with the Frontiers of New York and New England

Artiste: William Faden
1777
Source: Wikimedia Commons




Il faudra un an avant que le rachat complet de la monnaie de cartes par les autorités coloniales soit complété, soit à partir de 1719, selon Emmanuel Bernier. Dans ce procès-verbal du 9 novembre 1719, on voit que l'extinction de l'utilisation de la monnaie de cartes a créé quelques ennuis et délibérations dans la succession d'enfants mineurs.

Durant cette période de rachat/récupération de la monnaie de cartes de la colonie par les autorités coloniales, que se passe-t-il en France? Et bien le régent Philippe d'Orléans, qui prend les décisions politiques après la mort de Louis XIV en 1715 doit rétablir les finances de la France que la guerre de succession d'Espagne a laissé lourdement endettée. C'est en partie cet endettement qui explique les demandes pressantes de Versailles de racheter toute la monnaie de cartes en Nouvelle-France. Ironiquement c'est aussi durant cette période que fut mis en place le Système de Law, premier essai de papier monnaie sur le continent européen. John Law, appuyé par Philippe d'Orléans, mit en place une première Banque Générale en mai 1716. En 1718, la Banque Générale change de nom pour la Banque Royale. Les gens déposent de l'argent sonnant à la banque en échange de billets de papier. Les bénéfices sont réalisés grâce au change et aux opérations d'escomptes. Le Système de Law est fragile et agit comme des actions dans une compagnie. C'est d'ailleurs un phénomène d'inflation et de spéculation qui mena, en 1720, à la banqueroute et au Krach du Système de Law. Le procédé aura quand même permis d'assainir les finances du Royaume par rapport à 1715. Pour plus d'informations sur la vie de John Law et son système, je vous suggère cet article sur le sujet.


Gravure de John Law
1720
Source: National Portrait Gallery

L'expérience de la banqueroute du système de Law et du Krach de 1720 a laissé les Français réticents quant à l'usage du papier monnaie. Du moins cela a duré un certain temps.

Dans la colonie, le problème de base reste le même. Il y a plus d'importations de biens que d'exportations, ce qui occasionne un manque récurrent de monnaie sonnante. 

Gilles Hocquart entre dans sa fonction d'intendant en 1729, succédant à Claude-Thomas Dupuis, intendant de 1726 à 1728. Dupuis avait succédé à Bégon qui a effectué la dévaluation et le rachat de la monnaie de cartes. Dans les dernières années d'intendance de Dupuis, ses relations avec le gouverneur de Beauharnois avaient tellement dégénéré qu'elles avaient paralysé l'efficacité du gouvernement. 




Seconde période d'émission: La monnaie de cartes sur carton blanc (1729 à 1760)

Les pressions des marchands pour la réinstallation de l'usage de la monnaie de cartes aboutissent à la fabrication d'une nouvelle monnaie de cartes, cette fois-ci sur carton blanc, avec l'autorisation de Versailles.

Le 2 mars 1729, une ordonnance royale édicte les règles de fabrication pour la monnaie de cartes. Les coupures permises sont de 24 livres, 12 livres, 6 livres, 3 livres, 1 livre 10 sols (30 sols), 15 sols ainsi que 7 sols 6 deniers. Les valeurs d'une carte vont ainsi de manière exponentielle, étant toujours le double de la précédente. 

Rappel monétaire:
Le denier est la plus petite unité monétaire de l'Ancien Régime. Le sol, aussi nommé sou, vaut 12 deniers. Une livre vaut 20 sols. Un écu d'argent vaut 6 livres. Un louis d'or vaut 24 livres. Il existe aussi des demi-écus d'argent (3 livres), des doubles louis d'or (48 livres) et des demi-louis d'or (12 livres).

 

Carte de 24 livres
1729
Source: Numisbid


La carte ci-haut est la plus ancienne que j'ai retracée. Elle a été vendue aux enchères à 32 500$ canadiens. Si on en croit ce convertisseur de monnaie ancienne d'Ancien Régime, l'équivalence moderne de 24 livres en 1729 serait de 370 euros actuels soit 576$ canadiens. Je vous laisse calculer l'augmentation de la valeur que cette pièce de carton a eu depuis près de 300 ans, plus de 5 000%.

Carte de douze livres
1730
Source: Collections du musée de la civilisation de Québec



Toujours selon l'ordonnance de 1729, les cartes doivent toutes être écrites et signées par le Contrôleur de la Marine à Québec. Elles doivent aussi avoir le poinçon des Armes de Sa Majesté. Les cartes de 24, 12, 6 et 3 livres doivent être signées par l'intendant et le gouverneur de la Nouvelle-France. Celles de 30 sols, 15 sols et 7 sols 6 deniers doivent être seulement paraphées par l'intendant et le gouverneur.

Chaque fois que de la monnaie de cartes sera imprimée, quatre procès verbaux seront produits. Ils sont destinés à être envoyés et conservés  par: 1- l'intendant, 2- le gouverneur, 3- le Bureau de contrôle à Québec et 4- le secrétaire d'État ayant le département de la Marine. Sur quatre copies, une seule est envoyée en France.

L'ordonnance défend au gouvernement de la Nouvelle-France d'imprimer pour plus de 400 000 livres en valeur de monnaie de cartes. Au-delà de cette somme, le gouverneur, l'intendant et le Contrôleur de la Marine seront considérés comme des faux-monnayeurs et jugés comme tel.


Cette ordonnance fut suivie car le 13 octobre 1729, un procès verbal nous informe de l'impression de monnaie de cartes de cette année-là, pour une somme totale de 63 337 livres et 10 sols. Ce procès verbal est signé de Hocquart, l'intendant et de Varin de la Mare, le contrôleur de la Marine.

Puisque la fabrication de la monnaie de cartes à partir de cette période est officielle et encadrée par Versailles, il existe beaucoup plus de documents à propos de la monnaie de cartes après 1729.

Le 12 mai 1733, suite à des plaintes de manques de fonds des habitants, du gouverneur et de l'intendant de la Nouvelle-France, une nouvelle ordonnance du roi Louis XV permet d'imprimer 200 000 livres supplémentaire en monnaie de cartes.

Aussi à partir de 1733, un système de remplacement des cartes est mis en place par l'intendant Gilles Hocquart pour éviter que des cartes effacées et usées ne restent en circulation. Ces cartes doivent aussi porter deux poinçons, le premier aux armes de France et le second aux armes de Navarre. Le tout est précisé dans cette ordonnance du 18 mai 1733.



À partir des années 1740, la monnaie de cartes a une importance moindre dans les différents papiers monnaie qui circulent en Nouvelle-France. À tel point que, lors de « L'Affaire des papiers du Canada », seulement 3,8% de la monnaie de papier était de la monnaie de cartes selon Emmanuel Bernier. Les autres papiers-monnaie étaient des lettres de change, des certificats et des ordonnances. Pour en savoir plus sur  ces papiers, je vous le rappelle, vous pouvez lire mon article sur les monnaies de papiers et les perruquiers nommés dans l'Affaire du Canada.

J'ai écrit plus haut, à propos des cartes de la première émission de 1685 à 1714, qu'aucune carte n'a survécu à ma connaissance. Impossible de savoir quelle a été leur forme avec les sources que j'ai consultées. Puisque les cartes de la première instance étaient faites à l'insu de Versailles, je doute fortement qu'elles étaient munies de ces poinçons aux armes de la France et de Navarre. Selon l'historienne Sophie Imbeault dans son article  «Que faire de tout cet argent de papier? Une déclaration séparée au traité de Paris» paru dans 1763, le traité de Paris bouleverse l'Amérique chez Septentrion, les cartes sont écornées ou sectionnées selon leur valeur sans plus de précisions.

Il semble que cela soit le cas en observant les cartes de la collection du musée de la civilisation de Québec. Bien qu'il existe une exception à ces observations, la majorité des cartes conservées dans cette collection suivent la forme suivante:

Grandes et rectangulaires pour les 24 livres.

Carte de 24 livres
1734 
Source: Collection du musée de la civilisation de Québec

Grandes, rectangulaires et écornées pour les 12 livres.

Carte de 12 livres
1733
Source: Collection du musée de la civilisation de Québec


Moyennes et carrées pour les 6 livres.

Carte de 6 livres
1749
Source: Collection du musée de la civilisation de Québec

Petites et rectangulaires pour les 30 sols.

Carte de 30 sols
1757
Source: Collection du musée de la civilisation de Québec

Petites, rectangulaires et écornées pour les 15 sols.

Carte de 15 sols
1749
Source: Collection du musée de la civilisation de Québec

Il ne manque dans cette collection qu'un représentant des cartes de 3 livres, qu'on peut imaginer en toute logique moyenne, carrée et écornée, et un représentant des cartes de 7 sols et 6 deniers, probablement encore plus petites que celles de 30 sols et 15 sols.

Cet arrêt du 19 janvier 1751 confirme la présence de formes particulières concernant la monnaie de cartes sur carton blanc. En effet, Philippe Dufresne est arrêté pour avoir eu dans son porte-feuille 5 cartons coupés en forme de carte. Le document semble indiquer que les cartons n'avaient ni valeur, ni contrefaçon de signatures.

Bien que l'utilisation de la monnaie de cartes décroit à partir des années 1740, les faux-monnayeurs démasqués sont punis de la peine capitale. Cet Arrêt du 25 février 1756 en est la preuve, il confirme la condamnation à la pendaison de René Lusignan pour avoir fabriqué et distribué quatre fausses cartes. Il sera pendu et exposé trois heures sur la place publique du marché de la basse-ville de Québec, actuellement Place-Royale. Son procès complet est également disponible sous ce lien.

Détail d'une gravure représentant la promenade à rebours de Jeanne Doyon
1750
Source: Crimino Corpus, musée d'histoire de la justice, des crimes et des peines




Si vous vous intéressez à l'Affaire des papiers du Canada et des répercussions que cela a eu pour le dernier intendant Bigot et sa bande, je vous conseille vivement l'article de Sophie Imbault «Que faire de tout cet argent de papier? Une déclaration séparée au traité de Paris » paru dans 1763, le traité de Paris bouleverse l'Amérique chez Septentrion.


Autres utilisations des cartes à jouer

Si les cartes à jouer n'ont pas été le matériau choisi pour fabriquer la monnaie de cartes à partir de 1729, elles ont été utilisées par des particuliers pour toutes sortes d'utilisations. Elles sont tantôt des bons d'échanges, des témoins de reconnaissances de dettes ou des aides-mémoire de toutes sortes.

Bons d'échanges

Bon pour une demi-corde de bois... le 8 nivôse de l'an 3
Source: Numisbid


La datation utilisant le mois de nivôse indique une carte utilisée en France ou dans ses colonies restantes durant la période de la révolution française avec leur nouveau calendrier laïc républicain. En effet le 8 nivôse de l'an 3 équivaut au 18 décembre 1794. 

 

Bon pour deux pains de chacun un escalin
1779
Louisiana State Museum
Crédit photo: Joseph Gagné

Un escalin est une pièce de monnaie d'argent des Pays-Bas. Identifiées comme monnaie de cartes par le musée, ces cartes me semblent plus comme un système privé d'un marchand qu'une institutionnalisation de la pratique comme démontré plus haut pour la Nouvelle-France.


Témoin de dettes et remboursement de dettes


«...et il a donné une lettre de change au Sieur LeBlond de 20 Louis d'or neufs en déduction des 32 qu'il me devait»
Source: Numisbid


Aide-mémoire en tout genre...

«Dieu est l'âme de tout»
carte utilisée pour écrire une prière
Source: Numisbid

«Robethon»
carte avec description d'armoiries et visuel
Source: Numisbid

«Réfutation de la théorie pneumatique ou de la nouvelle doctrine des chymistes moderne»
carte notant le titre et l'auteur d'un livre
Le pdf de ce livre de 1796 est disponible sous ce lien
Source: Numisbid

Ainsi s'achève cet article sur l'historique et l'utilisation de la monnaie de cartes en Nouvelle-France. Encore une fois, je remercie chaleureusement l'historien Emmanuel Bernier pour son aide précieuse à la réalisation de cet article. J'espère que cela vous aura été instructif, tout comme cela a été pour moi. Je remercie également Michel Thévenin, mon amoureux, historien militaire et l'auteur du blog Tranchées et Tricornes pour sa relecture et ses précisions apportées au texte.


Avant de terminer, je voudrais vous faire remarquer une grande absence sur les cartes à jouer des 17ième et 18ième siècles. Elles n'ont pas d'enseigne, soit les chiffres arabes au coin comme les cartes du 20ième et 21ième siècle. Je ne sais cependant quand ils ont fait leur apparition sur les cartes à jouer.


Bientôt un article sur mes reproductions de monnaie de cartes...


D'ici là, portez-vous bien.


Mlle Canadienne

1 commentaire:

  1. Excellent sommaire de ce sujet qu'on peut croire simple mais qui s'avère complexe. Pour ce qui est de la forme des monnaies émises sur des cartons blancs, il me semble que Marcel Trudel mentionnait un système semblable à celui que vous décrivez à partir des cartes du Musée de la Civilisation. Je crois que c'était dans son livre "Introduction à la Nouvelle-France". Mais ma mémoire peut me jouer des tours! Pour la petite histoire, la collection de Parcs Canada compte deux exemplaires de monnaie de carte des années 1730-1750 environ. Et dans l'"Art du tailleur" de M. de Garsault, on mentionne que l'espace entre les boutonnière de l'habit doit être d'une largeur de carte à jouer. Ces petits cartons sont fort utiles!

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