dimanche 2 décembre 2018

Flûte, Chameau et robe de chambre

Bonjour!

Aujourd'hui je veux vous conter l'histoire d'une reproduction que je viens de terminer de son origine à sa recréation.

Tout a commencé avec la découverte du document: État des effets et marchandises provenant du naufrage du navire du Roy le Chameau.


Ce document est disponible sur la base de données Archives de la Nouvelle-France. Cette base de données est une collaboration entre les organismes suivants: Bibliothèque et Archives Canada, Archives Nationales d'Outre-Mer (France), Archives Nationales (France) et Bibliothèque et Archives Nationales du Québec.


Pour comprendre la provenance de cet inventaire, il est nécessaire de parler un peu du navire le Chameau et de son histoire. Le Chameau était une flûte, c'est-à-dire un navire fait pour le transport. Il a été bâti à Brest en 1717-1718 et il reçut comme port d'attache Rochefort. Ce navire a essentiellement fait le transport de marchandises entre Rochefort et Québec. C'est dans ce contexte qu'il fait naufrage au large de Louisbourg dans la nuit du 27 au 28 août 1725, alors qu'il faisait route vers Québec. Aucun survivant n'a été retrouvé. Les corps rejetés sur le rivage étaient retrouvés ''nu en chemise'' ce qui laisse présumer de la soudaineté du naufrage.



Carte du 10 octobre 1725
 indiquant le lieu du naufrage du Chameau


Quelques expéditions visant à récupérer le plus de matériel de ce désastre furent mises sur pied. À cette occasion un inventaire des effets et marchandises récupérées fut rédigé. Dans cette liste de biens, un item a attiré mon attention et ma curiosité.


Dernière page de 


''Une robbe de chambre d'indienne doublée d'un taffetas vert''

Ce qui m'a d'abord attiré vers cet article c'est la description des tissus qui, à mon humble avis, montre la qualité et la rareté des différents tissus de l'époque. La doublure est de taffetas, un mot qui est uniquement utilisé pour décrire un tissu de soie à l'époque. (Aujourd'hui il est possible d'avoir des taffetas synthétiques). Le tissu d'apparat est donc l'indienne, c'est-à-dire une toile de coton peinte importée des Indes.  Cela confirme mon hypothèse que les tissus d'indiennes étaient plus onéreux et plus précieux que la soie, sinon je crois que la doublure aurait été d'indienne et le tissu d'apparat en taffetas de soie. Aujourd'hui c'est plutôt le contraire, la toile de coton imprimé est très abordable alors que le taffetas de soie est assez onéreux. 

Ensuite est arrivé un intérêt pour le vêtement de robe de chambre. L'absence d'indication féminine telle que ''de femme'' ou ''de dame'' me fait penser que ce vêtement était confectionné pour un gentilhomme. En effet, la plupart des documents du XVIIIe siècle précisent par ces indicatifs qu'il s'agit de vêtement féminin. D'ailleurs, sur la page ci-dessus, il est indiqué ''un habis de femme ... gris sans doublure''. D'ailleurs, tous les autres ''habis'' décrits dans cet inventaire ne mentionnent que leur description. 


Je me suis donc documentée sur la robe de chambre masculine de la fin du XVIIe et début  du XVIIIe siècle afin de réaliser une reproduction de cet article. Après tout, le Chameau a sombré en 1725. Mes recherches iconographiques m'ont menée jusqu'à ces portraits.


Portrait d'un jeune homme
Non-daté
Attribué à un peintre d'origine française
Provenant de la collection: ''Old Master Painting''




Homme en robe de chambre, extrait du recueil des modes de la cour de France
Imprimé à Paris, France, 1676
Attribué à Nicolas Bonnart et Jean-Baptiste Bonnart





Portrait d'homme à la perruque
Peintre Jacob Ferdinand Voet durant son établissement à Paris de 1686 à 1689
Collection particulière





Portrait de Samuel Bernard, comte de Coubert (1615-1687)
Peintre Louis Ferdinand Elle le jeune (1649-1717)





Portrait d'inconnu du règne de Louis XV autrefois désignant Jacques Soufflot
(Règne de Louis XV: 1715-1774)
Peintre Carle Van Loo (1705-1765)





Portrait de Marc de Villiers, secrétaire du Roy
Peintre Jacques-André-Joseph Aved (1702-1766)
Daté de 1747
Collection J. Paul Getty Museum, Los Angeles, États-Unis




Comme vous pouvez le constater, la forme de la robe de chambre n'a que peu évolué depuis la fin du XVIIe siècle. Sur les peintures et illustrations retenues, quelques ressemblances et différences sont apparues. Les robes de chambres sont toutes très larges et ne semblent requérir aucun ajustement particulier. Elles ne possèdent pas de ceinture, contrairement à leur héritières actuelles. Toutes les robes de chambres ont une doublure en couleur contrastante avec le tissu d'apparat.  Dans la collection que je viens de vous présenter, deux robes de chambre possèdent une couture de manche. Les autres n'en n'ont pas ou la chevelure fournie de ces messieurs empêche de la voir. Toujours dans les différences, la robe de chambre peinte par Van Loo semble avoir des parements de manche.


Pour ma reproduction, j'ai décidé de suivre ce que j'avais trouvé de commun dans les tableaux qui m'ont servi d'inspiration. Mon patron devait ne pas avoir de couture aux manches et être sans ajustement particulier. Pour ce qui est du choix des tissus, la description de la robe de chambre retrouvée après le naufrage du chameau est assez claire dans l'inventaire présenté plus haut.

Pour l'indienne, j'ai choisi une reproduction hollandaise dont le motif est daté autour de 1725. Le Chameau a fait naufrage en 1725, je suis dans la bonne période!






Pour la doublure, le taffetas de soie était requis.


Et le taffetas de soie


Ce qui m'a causé le plus de souci, c'est l'encolure. Je m'étais procurée le patron de ''Reconstructing History'' parce que je désirais avoir un guide dans la forme de mon patron. Malheureusement, je n'ai réalisé que trop tard qu'il  avait une différence entre l'encolure que je voulais réaliser (au raz du cou) et celle du patron (large laissant des pans de la robe de chambre retomber en triangle au niveau de l'ouverture avant).

En fait, je ne l'ai réalisé que mon tissu était déjà coupé, lorsque j'ai prise cette photo de mon amoureux, qui a bien voulu se prêter au jeu de modèle.


Bien que cela donne un style, les revers n'apparaissent jamais sur les tableaux d'époque.



Il fallait trouver une solution. Celle que j'ai trouvée, c'est de rajouter une bande de tissu au niveau du cou comme sur le manteau de lit que j'ai fait il y a plusieurs années. Pour éviter de perdre du tissu, j'ai plissé l'excédent que la découpe laissait au niveau de la bande de tissu ajoutée. Sinon, la robe de chambre aurait perdu sa coupe ample pour une coupe ajustée, ce que je voulais éviter.


Détail de mon manteau-de-lit 
Porté par Cathrine Davis

Alors voici le résultat final! C'est une recréation de ce que aurait pu avoir l'air la robe de chambre retrouvée sur les côtes de la Baleine, non loin de Louisbourg à la fin août 1725.



Vue pleine grandeur




Détail du dos et de l'encolure inspirée du manteau de lit



Vue de côté de l'encolure et des plis que j'ai fait pour garder la pleine largeur de la découpe.



Détail de l'encolure avant.



Détail de la finition de la manche - fait à la main sans machine



Monsieur l'historien commence à entrer dans son rôle...


Entre l'idée de créer une robe de chambre inspirée du document que je vous ai présenté et sa réalisation, beaucoup d'eau a passé sous les ponts. Je suis plutôt satisfaite du résultat.

J'espère que vous aurez apprécié la démarche autant que la recréation en elle-même.

Je souhaite à tous les aventureux qui ont terminé la lecture une bonne journée.


Mlle Canadienne






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