vendredi 13 septembre 2019

Pet en l'air: remonter aux origines


Bonjour!

À la fin de mon article sur le livret intitulé: ''L'art de péter'', j'ai énoncé que je croyais que l'Art de péter était la première apparition de l'expression ''Pet en l'air''. J'ai des amis historiens qui m'ont aidé à retracé cette expression au travers des différentes sources disponibles en ligne et dans un dictionnaire éthymologique. Merci à Joseph Gagné du Blog Curieuse Nouvelle-France et mon amoureux Michel Thévenin du Blog Tranchée et Tricorne de m'avoir aidé dans cette recherche approfondie mais non-exhaustive.


Première constatation: les dictionnaires ne représentent pas l'entièreté des mots utilisés. (Je croyais vraiment que tous les mots apparaissaient dans un dictionnaire, mais plus maintenant.) J'aurais dû m'en douter parce que en 2018, justement le mot pet-en-l'air fut retiré des dictionnaires lors de la refonte faite à chaque décennie, jugé trop vieux et inutilisé.  Voir cet extrait vidéo du journal télévisé de13Heures de la chaine France2 du 15 novembre 2018.
Donc ni les dictionnaires, ni les encyclopédies ne contiennent tous les mots utilisés à l'époque de leur conception.

(Il n'y a d'ailleurs aucun censeur de la langue qui soit venu m'interdire de dire ce mot jusqu'à présent!)

D'ailleurs, les dictionnaires modernes semblent avoir retenu que le pet-en-l'air est un paletot court, soit une espèce de veste ample et confortable, unisexe. (Définitions trouvées en ligne sur  le dictionnaire Larousse.)

Après une recherche plus consistante, qui m'a menée à la rédaction de cet article, j'ai trouvé la mention de pet-en-l'air dans un dictionnaire du 18ième siècle ( un seul sur l'ensemble du siècle): le Nouveau dictionnaire universel des arts et des sciences, françois, latin et anglois (1756), publié à Paris, France. Cependant la définition dans ce dictionnaire ne colle pas avec celle bien connue de M. de Garsault. Elle ressemble davantage à celle qui est restée dans le dictionnaire Larousse.

Page 212
Dictionnaire universel des arts et des sciences, françois, latin et anglois (1756)





Deuxième constatation: mon dicton de l'histoire fonctionne: Une source c'est bien, deux c'est mieux... mais plusieurs c'est meilleur! Voir l'article sur le mantelet pour lire la première énonciation de ce dicton. Autrement dit, à vouloir trop tôt partager mes recherches, je me suis trompée dans mon article sur l'Art de Péter du 5 septembre dernier: 1751 et l'Art de péter n'est pas la première apparition de l'expression pet en l'air...


Troisième constatation, et déception pour moi : l'Art de péter n'aura pas influencé la mode pour nommer le pet-en-l'air féminin décrit par M. de Garsault tel que je l'avais supposé. C'était trop beau pour être vrai.



Ma recherche avait pour but de documenter le plus de sources possibles mentionnant un pet-en-l'air jusqu'à la parution de l'Art de Péter, 1751, que je croyais être la première apparition de cette expression.



1631, la première apparition de l'expression

Parmi les logiciels de recherche (Gallica et Google Books) que j'ai utilisé, le plus loin que j'ai pu remonter pour retracer cette expression est 1631 dans le livre: Histoire générale de Normandie, contenant les choses mémorables (...), par M. Gabriel Du Moulin, Curé de Maneual. Ce livre est publié à Rouen, France.







Cette première mention du pet en l'air semble être un geste de provocation connu de l'époque, dans la catégorie du doigt d'honneur. Je veux souligner que ce geste est considéré comme un fait mémorable puisqu'il est écrit dans ce livre. Le geste en lui-même ne mérite pas de précision dans le texte. Mon interprétation sur le comment bien faire un pet-en-l'air: il faut descendre les hauts de chausses, culottes, ou pantalon pour aérer les fesses et ensuite faire résonner la trompette naturelle de l'arrière-train à la vue de tous.



En haut de l'image: une cannonade de pets en l'air au lieu des habituels canons,
commandée par le Prince Pet-en-l'Air pour accueillir l'émissaire de la Reine des Amazones
Extrait de L'Art de péter, édition de 1776.



1685, seconde mention de l'expression 


Entre 1631 et 1685, je n'ai trouvé aucune mention de l'expression. Elle apparait une deuxième fois dans le Recueil des pièces du temps ou divertissement curieux pour chasser la mélancolie & faire passer le temps agréablement, contenant vingt pièces burlesques & facecieuses. Ce livre est publié à La Haye, en Hollande.







Cette mention m'a donné plus de fil à retordre pour la comprendre. Elle est situé à la fin de la  deuxième pièce nommée: les crocheteurs. Il s'agit d'un monologue fait par un noble qui s'est fait réveiller par un valet qui, voyant son Maitre paresser au lit, décide de :

''...saluer mes (le maitre) oreilles d'un pet en faux-bourdon; ce pet capable d'alarmer un régiment de Lansquenets, a été si impétueusement poussé & si furieusement organisé, qu'il a suppléé au défaut du réveille-matin''

Donc un pet commence et finit le monologue burlesque, puisque l'extrait contenant le pet en l'air est la dernière phrase de la pièce. Je crois par conséquent qu'il s'agit de la même sorte de pet que dans l'Histoire de Normandie. Il suffit d'un pas de travers et la tache est faite... Pour être bien sûre, je devrais rechercher l'expression ''haut le pied Guillot''.

Autre interprétation possible. Je me demande si justement le personnage ne rappelle pas le pet d'introduction pour dire à son valet que sa tâche (le réveiller) est faite.



Le Mercure de France éditions de 1728 et 1729, première source nommant le pet-en-l'air comme une pièce de vêtement

À seulement un an d'intervalle, apparaissent deux définitions différentes pour un vêtement nommé pet-en-l'air.

La première apparition est dans la description d'une pièce de théâtre, le pet-en-l'air désigne un vêtement masculin, dans le Mercure de France de juillet 1728, puisque Lyncée est un personnage masculin. Les revues Mercure de Frances sont imprimées à Paris en France.




Ce pet-en-l'air rappelle la définition du dictionnaire de 1756 cité plus haut: une robe de chambre qui ne va que jusqu'aux genoux.


L'année suivante, 1729, en décrivant une autre pièce de théâtre, la description faite du pet-en l'air ressemble davantage à celle de M. de Garsault.






Un peu plus loin dans le dénouement de cette pièce de théâtre:



Alors voilà la première mention que j'ai trouvée qui nomme textuellement le type de pet-en-l'air décrit par M. de Garsault dans l' Art du Tailleur de 1769.


Extrait de L'Art du Tailleur, 1769
François-Alexandre-Pierre de Garsault






1728 à 1751: des vêtements différents pour les deux sexes


À partir de maintenant, je vais diviser les mentions du pet-en-l'air que j'ai trouvées entre 1728 et 1751 (la date que je croyais être la plus ancienne pour la mention de pet-en-l'air) selon qu'elles désignent une robe de chambre pour homme ou une pièce de vêtement dérivée du raccourcissement de la robe d'une femme.

Commençons par les vêtements pour homme:

Outre la première mention de pet-en-l'air en 1728 pour une pièce de vêtement, j'ai trouvé aussi ces mentions:

-1741 dans un conte intitulé Le prince Courtebotte et la princesse Zibeline, tiré des Fééries Nouvelles de Anne Claude Philippe de Tubières de Lévis Comte de Caylus. Ce recueil est publié à La Haye en Hollande.

Petite digression pour parler de la préface de ce recueil de contes. J'ai vraiment été étonnée que l'auteur des Fééries Nouvelles écrive clairement dans son avant-propos d'avoir volé les oeuvres qu'il publie dans ce livre, entre autres pour expliquer pourquoi le dernier conte est inachevé.




La description d'une robe de chambre pour homme est vraiment claire ici.



-1745 dans un autre conte nommé La princesse Azerole ou l'excès de la constance situé dans un recueil intitulé platement Cinq contes de Fées... Le lieu d'édition n'est pas mentionné.





Le personnage de Turlupin est masculin et il porte un pet-en-l'air au tissu clairement défraichi. C'est un sot et un pauvre, il peut porter des vêtements de nuit et d'intérieur à l'extérieur du domicile. C'est tout de même plus présentable que d'être en chemise.







Maintenant les mentions des vêtements pour femmes:

-1731 il apparait dans une parodie du Nouveau Théâtre Italien nommée Arlequin Bellerophon écrit par un collectif d'auteurs. Ce recueil est publié à Paris, France.




La réflexion de la première Amazone est intéressante: cette femme a réussi à vaincre le coeur de l'homme qui a capturé des Amazones en portant seulement un pet-en-l'air, quelle serait sa force si elle était armée de pied en cap!

Cette mention de pet-en-l'air est peu descriptive, on sait seulement que le vêtement est associé à une femme. En poussant un peu la réflexion, il semble que ce soit un vêtement où il est décent d'être vu en public dedans.



-1742 il apparait dans ce qui me semble être une revue de littérature à propos de la différenciation entre la reine abeille, les mouches et les abeilles ouvrières. Trouvé dans Bibliothèque Françoise ou Histoire Littéraire, tome 35, seconde partie. Cette revue de littérature est publiée à Amsterdam, Hollande.





Je n'ai pas poussé la recherche assez pour comprendre pourquoi on affuble la reine des abeilles d'un pet-en-l'air... Mais la description rapproche le juste, du pet-en-l'air, deux vêtements féminins qui laissent voir le jupon de dessous. 

-1749 il apparait à la scène II  dans une tragédie nommé: Les deux biscuits. ''Se vend à Astracan'' mais je n'ai pas trouvé où est Astracan.


Le contexte est fort simple, une dame de haut rang, Abubef, demande ses vêtements à ses domestiques. Je ne sais pas pourquoi les personnages des pièces de théâtre sont souvent exotiques.



- 1752, je fais un entorse à mon échelle temporelle énoncée plus haut pour une différence de 1 an, pour citer les Réflexions critiques sur les différentes écoles de peinture par M. le Marquis D'argens, Jean-Baptiste Boyer. Ces réflexions sont publiées à Paris, France.



 Rapidement, l'auteur critique la nudité des images de l'Église, ici Adam et Ève, et se plairait à les voir habillés.


Un entre-deux


Et pour encore plus mélanger les choses, dans le recueil de 1731 du  Nouveau Théâtre Italien déjà cité, il y a une autre mention de pet-en-l'air,dans la parodie de la Méchante Femme. Ce vêtement qui est maintenant synonyme de manteau de lit, soit la robe de chambre des femmes.




En conclusion

Au 17ième siècle, le pet en l'air fait référence à une action et non à un vêtement.

Au 18ième siècle, dès 1728, toutes les sources parlant de pet-en-l'air que j'ai trouvées font référence à une pièce de vêtement. Tantôt une robe de chambre pour homme , tantôt à une robe de femme dont le bas a été raccourci et tantôt à un manteau de lit de femme ... Le mot ne semble pas avoir une eu une définition aussi tranchée que M. de Garsault le laissait croire en 1769 dans son Art du Tailleur. Même si M. de Garsault est un érudit qui documente les techniques de métiers, il n'en reste pas moins qu'il présente un point de vue partial dans quelques occasions (Il prend le parti des perruquiers dans le conflit entre les coiffeurs et les perruquiers...) et il ne connait pas tout. 

D'ailleurs, même si le mot existe, le fait qu'il soit si fréquemment absent des dictionnaires et encyclopédies met en évidence une certaine rareté d'utilisation, du moins durant la première moitié du 18ième siècle.

Tous les livres mentionnés ont été publiés en France ou en Hollande, donc dans un cadre Européen.


Mon résumé de recherche



Par contre, à partir des années 1760, les mentions de pet-en-l'air féminins dérivé de la robe sont de plus en plus fréquentes.  Je voulais me pencher sur l'apparition du mot jusqu'au milieu du 18ième siècle, je n'ai donc pas transcrit les trouvailles plus tardives.

De ce que je comprends: la littérature aura retenu la robe de chambre écourtée masculine et la mode aura retenu la pièce de vêtement féminine décrite par M. de Garsault.

Je crois que j'ai montré à quel point: Une source c'est bien, deux c'est mieux... mais plusieurs c'est meilleur!

Merci de m'avoir lu jusqu'au bout!


Mlle Canadienne

Mise à jour le 2019-09-28




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Question de vocabulaire: casaquin, vêtement à plis ou sans plis?

Bonjour, Depuis plusieurs années je m'intéresse aux vêtements du XVIIIe siècle et je dois avouer qu'aucun mot ne m'a autant embr...