Bonjour,
Lors de la rédaction de mon dernier article sur les perruquiers en Nouvelle-France, je suis tombée sur un texte qui donnait une définition de la perruque cavalière.
Aujourd'hui, j'ai envie de transcrire et commenter ce texte en entier tellement il est chargé de la culture du siècle des Lumières en ce qui a trait à l'habillement.
D'abord, parlons un peu du livre duquel il est tiré. Publié à La Haye, aux Pays-Bas en 1723, Le mentor moderne ou Discours sur les moeurs du siècle. tome 3 est une traduction de plusieurs auteurs Anglais dont Joseph Addison et Richard Steele. Le livre semble être un recueil de textes publiés dans le journal ''The Spectator'', un journal anglais à parution quotidienne des années 1711 et 1712. Une tentative de relance du journal à parution tri-hebdomadaire a duré 6 mois en1714.
The Spectator Édition du 7 juin 1711 Source: Wikipédia |
Le lectorat visé par ce journal était la classe moyenne émergente, les marchands et les commerçants. Joseph Addison estimait qu'un seul exemplaire de ce journal était lu par des milliers de Londoniens. Les textes de ''The Spectator'' ont été réédité à plusieurs reprises au cours du dix-huitième siècle, rejoignant même des lecteurs américains comme Benjamin Franklin et James Madison, le 4ième président des États-Unis d'Amérique.
Dans le numéro 10 du journal, l'objectif du journal est dépeint. Il visera à ''élever la morale avec de l'esprit et tempérer l'esprit avec de la morale'' (to enliven morality with wit, and to temper wit with morality).
La prose, même traduite, permet d'apprécier ces traits d'esprit et de morale des auteurs qui ont été appréciés à mon avis tant en anglais qu'en français. À mon avis, lire un texte ancien permet d'un peu mieux appréhender la culture de l'époque qui l'a vu naitre par le choix des mots, les structures de phrases, le type d'humour...
Habituellement, je préfère me concentrer sur les sources qui viennent directement de France mais puisque le discours que j'ai sélectionné réfère très souvent aux Français et qu'il est truffé de perles de traits d'esprits à propos des vêtements, j'ai décidé de vous le partager. Je vous propose ici une transcription en français moderne de la traduction française de 1723. Celle-ci est disponible ici sur Gallica (le discours choisi débute à la page 188 et se termine à la page 204 du document). Les mots en italique et les majuscules sont respectées du texte original.
Le partage de ce texte est aussi une excuse pour partager des peintures, pastels et autres documents iconographiques du dix-huitième siècle pour illustrer le propos de ce discours sur la mode. Vous aurez un aperçu des images qui me sont venues en tête lors de la lecture de ce discours. La majorité des images utilisées datent de la première moitié du dix-huitième siècle.
''Discours CXXV
-Uratur vestis amore tuae-
Qu'il devienne amoureux de la beauté des ajustements
Dans un de mes discours précédents, j'ai fait tous mes efforts pour développer le Mécanisme du Poème Épique, & j'ai donné à mes Lecteurs la Recette selon laquelle on peut composer des ouvrages de cette importance, sans que le Génie en soit un des ingrédients. Je traiterai aujourd'hui un sujet d'une plus grande étendue, & d'une utilité bien plus générale. Toutes mes réflexions rouleront sur l'ajustement mis en parallèle avec la Poésie.
L'ajustement est devenu une matière tellement considérable, qu'on ne saurait la négliger, pour peu qu'on ait de la tendresse pour soi-même; c'est cette apparence extérieure, qui nous attire des civilités & des respects; c'est elle qui prête du lustre à chacune de nos actions, c'est elle qui nous sert de passe partout, pour nous introduire dans les meilleures Compagnies, enfin c'est elle qui fait le mérite de notre Jeunesse Britannique.
Autrefois une opinion fort hétérodoxe régnait parmi les Gens de Lettre, qui s'imaginaient, que pour s'établir dûment dans le Caractère de Bel-Esprit, il était d'une nécessité absolue de mépriser tout ajustement. Cette affectation peu judicieuse affaidissait leur conversation, elle ôtait la force à tous les termes, dont ils se servaient, & les rendait incapable d'exciter l'attention d'une Compagnie femelle pour les meilleures choses, qu'ils pouvaient dire. Ils avaient le chagrin de voir qu'à leur barbe un Idiot bien habillé s'emparait des oreilles des Dames aussi bien que de leurs yeux, & qu'à chaque fadaise qu'il prononçait il était honoré d'un ris applaudissant, qui le félicitait de savoir si bien ajuster ses pensées.
Avant que d'entrer dans le détail de mon sujet, je poserai comme un principe incontestable, & appuyé de l'autorité de tous les siècles, qu'il faut avoir du génie pour s'habiller.
Le génie, comme l'on sait, n'est point un effet de l'art, mais un don de la Nature. On le voit évidemment à l'égard de l'espèce de génie, dont il est question; on en découvre déjà quelques rayons dans la première enfance. Le petit Monsieur, qui ne fait qu'essayer encore des paroles mal articulées, se met à rire, dès qu'on remue devant lui les plumes de son Bonnet, & il se précipite pour jeter ses menottes dans la Perruque blonde de son papa.
The duke of Buckingham and his family, D'après Gerrit van Honthorst 1628 Source: National Portrait Museum de Londres |
La petite Demoiselle est charmée quand on l'ajuste avec les rubans de sa mère, elle regarde avec transport les couleurs vives d'un éventail, & elle tend son petit bec à un Cavalier brodé, pendant qu'elle se cache à la vue du tablier bleu de la Blanchisseuse. A peine a-t-elle trois ans que l'ajustement de sa Poupée devient sa plus grande occupation, & l'on voit souvent que son goût se déploie déjà dans sa manière d'orner cette Machine.
Madame d'Orval et Mademoiselle de Wargemont Artiste: Louis Carrogis dit Carmontelle vers 1760 Source: Musée Condé, Chantilly, France |
Inclination de l'âge Gravure de Louis-Pierre de Surrugue selon Jean-Baptiste Chardin 1742 Source: Petit Palais, Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris |
Nous avons une espèce d'esquisse d'ajustement dont l'invention est étrangère, aussi bien que le nom, c'est le déshabillé; chaque partie de cet ajustement est mise d'un air libre et négligé, & pour ainsi dire, à tout hasard; mais un certain génie se découvre pourtant à travers cette négligente apparente, de la même manière qu'on découvre l'habileté d'un Peintre dans deux ou trois hardis coups de Pinceau.
Le matin Artiste: Nicolas Lancret 1741 Source: The National Gallery |
Jeune femme à sa toilette Artiste: François Eisen 1742 Source: Musée de Perthes, Abbeville, France |
Il faut rendre justice à la Nation Française, qu'elle surpasse toutes les autres dans l'étendue, & dans la fécondité de cette branche du génie; il n'y a pas une mode, qui soit à présent en vogue parmi nous, dont nous ne soyons redevables à l'heureuse imagination de nos ingénieux Voisins. Les Dames d'entr'eux déploient toute la force & toute la fertilité de leur esprit, sur chaque nouvelle jupe qu'elles songent à donner au Public; celles, qui se distinguent, ménagent tous les jours quelque agrément à leur coiffures, & elles auraient honte de paraitre deux fois de suite ajustées précisément de la même manière.
Quoique le Beau Sexe parmi nous soit très inférieur à cet égard aux Françaises, il faut avouer qu'il a infiniment plus de génie généralement parlant, que nous autres hommes; on peut dire même que depuis quelques années nos Dames ont fait des efforts d'inventions extraordinaires, & que par la Consomption de nos Manufactures; pendant que les hommes se sont contentés d'étendre ou de resserrer les bords de leur chapeau, & de varier un peu la Pâte de leur Poches, nos Belles ont baissé leur coiffure, elles se sont renfermées dans le vaste retranchement des Jupes de Baleine, & elles ont exercé un pouvoir arbitraire sur les falbalas de toutes sortes. Le Corps a été baissé par derrière, pour mieux étaler la beauté du col & de ses dépendances, & les manches ont pris plusieurs figures différentes; sans faire mention ici de certaines délicatesses d'ajustement, qui sortent des règles générales de la mode, & qui procèdent du goût particulier de certains génies extraordinaires. Après ces préambules je viens au fait; l'Art Poétique, & l'Art de l'ajustement ont de si étroites liaisons, que les règles de l'un peut parfaitement être appliqué avec l'autre.
Portrait de Catherine Barthe, épouse de Jean de Souhigaray Attribué à Ferdinand Jacob Voet avant 1700 Source: Musée des Beaux-Arts de Nantes, France Le ''corps'' vers la fin su 17ième siècle a grandement dénudé les épaules des dames devant et derrière. |
Comme dans un Poème toutes les parties différentes doivent avoir une certaine harmonie avec le tout, il faut s'habiller d'une manière symétrique, que l'Habit, la Veste, & les Culottes soient de la même pièce, & se soutiennent mutuellement par l'uniformité de la couleur.
Monsieur de Gribeauval, inspecteur général de l'Artillerie Artiste: Louis Carrogis dit Carmontelle 1760 Source:Musée Condé Chantilly, France |
Monsieur de la Condamine, Artiste: Louis Carrogis dit Carmontelle, 1760 Source: Musée Condé, Chantilly, France |
Aristote prescrit à tous les Poètes Dramatiques une observation judicieuse du Temps, du Lieu, & de l'Action. Cette maxime est excellente, mais elle ne convient pas moins à ceux qui s'appliquent à l'étude profonde de l'ajustement; commençons par le temps; qu'y a-t-il de plus absurde que l'habit de velours en été? Et cependant quoi de plus charmant en hiver?
Portrait d'un homme en habit de velours École napolitaine 18ième siècle Source: Archives encan Bonhams |
Antoine-René de Voyer, marquis de Paulmy d'Argenson (1722-1787) Artiste anonyme, 18ième siècle, Source: musée national des châteaux de Versailles et de Trianon Admirez le justaucorps de velours bleu doublé de fourrure à parements d'hermine. |
Le manchon et la palatine de fourrure font un ridicule effet au mois de Juin, & sont agréablement remplacé par l'Éventail, & par le Fichu de Turquie. En un mot, chaque partie de l'habillement doit se rapporter à la Saison, & il n'est pas possible de s'habiller avec esprit sans s'accommoder au temps.
Jeune Femme au Manchon Artiste: François Boucher Second quart du 18ième siècle Source: Musée du Louvres, département des Peintures |
Portrait d'artiste, dit la Manzanelli chanteuse, Artiste: Charles Antoine Coypel Vers 1730-1740 Source: Musée du Louvres, département des peintures La palatine est ce ruban de fourrure autour du cou |
Charlotte Philippine de Châtre du Cangé, Marquise de Lamure Charles Antoine Coypel Vers 1735 Source: Worcester Art Museum (Malgré ce que le discours insinue, il existe des portraits mêlant éventail d'été et fourrures d'hiver) |
Ile ne faut pas que celui qui se pique de savoir se mettre, soit moins exact observateur du Lieu; qu'y a-t-il qui donne un air plus aisé à une Dame le matin à sa Table à Thé qu'une Robe de Chambre ouverte & flottante?
Portrait d'une femme artiste Artiste: Inconnu, école française Vers 1735 Source: Art Institute of Chicago |
N'est-il pas sûr encore que les hommes qui entendent l'art de s'habiller peuvent se montrer aux Bains, sans choquer les bienséances, avec de belles Indiennes, ou d'autres Robes de magnifiques.
Portrait de Samuel Bernard, conte de Coubert
Artiste: Louis Ferdinand Elle le JeuneVers 1680Source: Collections Château de Versailles
Pour ce qui regarde l'action, c'est elle sans contredit, qui donne l'âme à l'ajustement aussi bien qu'à la Poésie. La tête, les bras, les jambes; tout doit conspirer à répandre le bon air sur un habit; qu'est-ce qui distingue le plus la parure de la Cour d'avec celle de la Province, c'est sans doute dans l'action; un petit air de la tête finement ménagé donne quelquefois tout le mérite à une nouvelle garniture de Rubans. Une prise de Tabac saisie de manière judicieuse peut prêter un nouvel éclat au Diamant qui brille au petit doigt d'une dame, & raccommodant spirituellement son tour de gorge, elle fait placer son plus beau jour une main bien tournée, et un sein appétissant. Pour faire des progrès dans l'action, rien ne me parait plus propre que la Danse, & je ne crois pas pouvoir trop la recommander. Elle donne un tour aisé au pied & à la jambe, & elle ménage aux bras un mouvement libre et gracieux.
La maxime d'Aristote que je viens de développer dans ses trois différentes parties, a de telles influences sur l'art de se bien mettre, que je suis persuadé, que si on ne l'observe pas l'habit le plus riche sera raide & affecté, & que l'ajustement le plus gai, & le plus riant paraitrait capricieux et fantasque.
Les différents genre de Poésie demandent de la différence dans le style; l'Élégie doit être tendre & triste, l'Ode vive & brillante; le Poème épique grand & sublime, & ainsi du reste. C'est ainsi qu'une veuve doit faire paraitre sa tristesse à travers d'un Voile noir qui lui couvre le visage; qu'une mariée doit peindre de la satisfaction de son coeur, par le Brocard d'argent; & que l'Officier emprunte un air martial de l'écarlate, & du Plumet.
Une autre manière de s'habiller parmi nos Dames, qui ne sert que dans certaines occasions; c'est l'Habit de Chasse, ou l'Habit d'Amazone, que d'habiles gens ont nommé d'une manière assez judicieuse l'Habillement Hermaphroditique. Je crois, pour moi que l'épithète Pindarique lui convient tout aussi bien, non seulement parce qu'il s'est introduit, aux courses des chevaux, mais encore parce qu'on y remarque un composé sublime du Poème Épique, & de la légèreté délicate de l'Ode, qui n'admet ni transition, ni liaison.
Détail de Pique-Nique après la chasse Artiste: Nicolas Lancret vers 1735-1740 Source: National Gallery of Arts, Washington |
Louise Victoire de Riencourt Artiste: Anonyme 18ième siècle Source: Musée des Beaux-Arts de Tours, France Ce portrait met en lumière la nature ''hermaphroditique'' de l'habit de chasse. Au premier regard, j'ai pris Mme de Riencourt pour un homme. Ce sont les fleurs dans ses cheveux qui ''prouvent'' sa féminité. |
Quelquefois il se lève chez un Peuple un génie supérieur; se soutenant par ses propres forces, il dédaigne de ramper sous les règles, & de copier les autres. Il invente, il compose, c'est lui, que l'on suit. De la propre autorité il hasarde une poche étendue en long, un parement ouvert, une nouvelle tournure dans les Galons, ou une nouvelle disposition dans la broderie. Un tel homme semblable aux Peintres du premier rang veut avoir la manière qui le fasse connaitre aux habiles gens du premier coup d'oeil.
Il y a d'autre côté certains demi Beaux-Esprits qui n'étalent leurs arts que par pièces, & par morceaux, ce qui arrive parfois faute de goût, & quelque fois faute d'argent. Un maître à danser du plus bas ordre manque rarement à se donner des Bas de couleur de feu, & des souliers à talon rouges; par là il marque des égards particuliers pour ses pieds et ses jambes qui lui font gagner sa vie, alors qu'il néglige entièrement les parties supérieures de son corps, auxquelles il n'a pas les mêmes obligations.
Le maitre à danser 1682 (époque Louis XIV) Graveur: Nicolas Bonnard Source: Musée Carnavalet, Paris Je remarque, contrairement à ce que suggère le texte, les parements rouges du justaucorps attirent autant le regard que les bas couleur de feu pour ce maitre à danser |
On peut appliquer à ces sortes de gens, ce qu'Horace dit de certains Poètes à marquetterie:
Purpureus late qui splendeat unus & alter Assuitur pannus
''Ils cousent à leur ouvrage quelques lambeaux d'une étoffe précieuse, qui éblouissent par leur éclat.''
Certaines gens, qui ne veulent briller que par la beauté de leur visage, concentrent tout leur génie dans la Perruque, qui d'ordinaire est comme l'enseigne des sentiments du coeur, & de la profession de ceux, qui la portent. La perruque carrée, qui jette des ondes partagées régulièrement sur les deux côtés de la poitrine marque un Jurisconsulte ou un Politique.
Jean-François Bouquet Artiste: Jean-François de Troy, 1724 Source: Musée du Louvres, département des peintures, Paris |
La perruque cavalière, tressée par derrière avec des rubans noirs, caractérise un homme de guerre, ou du moins une âme fière et belliqueuse; et celui qui charge d'une quantité prodigieuse de cheveux blonds qui lui descendent jusqu'à la ceinture, semble déclarer par là qu'il ne songe guère à embellir le dedans de sa tête. C'est encore d'une manière exactement semblable que chaque poète a son goût, & son style qui le caractérisent et qui font voir, souvent malgré lui, son humeur, & son naturel.
Il arrive qu'une dame spirituelle releva le goût de la parure par un seul noeud de rubans bien assorti, & artistement placé; c'est ainsi qu'un Poète donne quelquefois de la vie & de la force à toute une pensée, par une seule expression heureusement employée. Allons plus loin; on voit de jour en jour certains termes vieillir & être bannis de l'usage , pendant que d'autres naissent & enrichissent la Langue. Une succession semblable a lieu dans les différentes parties de la parure. Les franges succèdent aux galons, qui à leur tour font place à la broderie; les corps raccourcissent, & étendent la taille en différents temps; les Rubans sont sujets à un grand nombre de vicissitudes, & de révolutions; chaque année la Coiffure s'abaisse & s'élève à différentes reprises, & certains observateurs curieux de l'ajustement prétendent, que dans l'espace de cinq années, toute la femme change complètement de la tête jusqu'aux pieds. De plus, un poète se hasarde de temps en temps à introduire dans le monde un mot de sa propre invention; d'un génie supérieur ose quelquefois en son propre & privé nom, faire innovation dans les modes généralement reçues. Mais comme Horace avertit les Poètes de dériver leurs termes nouveaux d'une origine Grecque, afin de leur donner une autorité incontestable, je conseille aux Inventeurs des Modes, de rendre toujours leurs nouvelles inventions analogiques au goût Français; si la Grèce était la source des Belles Lettres, il est certain que la France est la source de la parure.
Angela Maria Lercari Artiste Anonyme environ 1710, Source: The Walters Art Museum La coiffure à la Fontange, illustrée ici et en vogue à la fin du règne du roi Louis XIV, aurait été improvisée par Mlle de Fontange lors d'une partie de chasse de 1679. Se trouvant décoiffée, elle aurait relevé ses cheveux avec un ruban et le Roi aurait apprécié cette arrangement. Avec le temps la coiffure à la Fontange s'est complexifiée en utilisant des fils de laitons, des rubans et toutes sortes de dentelles comme illustré ici. |
L'habillement peut être encore mis en parallèle avec la Poésie, par la faculté, qui leur est commune d'exciter les passions. Une expérience parfaitement soutenue prouve, que la parure est la cause la plus générale de l'amour. J'ai connu une Dame, qui se jetait à la tête d'un Plumet rouge, & qui n'avait point la force de refuser sa main à un Gant à franges d'or; la vue seule d'un Laquais rustique était capable de lui donner des vapeurs. Un habit plus beau et plus neuf, que le sien, sur le corps d'une autre Femme lui inspirait une haine implacable, & une épingle mal placée la jetait dans des transports de rage contre sa femme de chambre! Quelle rhétorique ne trouvait-elle pas dans les boucles séductrices d'une perruque blonde! Quelle éloquence irrésistible n'avait pas pour son coeur l'Habit brodé, la tabatière d'or, & la Canne à pommeau d'ambre!
Tabatière d'or, ornée de diamants et d'émeraudes à l'effigie de Louis XV Maitre Daniel Govaers 1726-1727 Source: Musée du Louvres, Paris |
Je mettrai des bornes à ces règles critiques par quelques réflexions, sur la Coiffeuse, sur la Couturière, & sur la Femme de Chambre, les trois plus grands instruments de la parure des dames.
La coiffeuse doit avoir une connaissance parfaite de la physionomie; dans le choix des rubans qu'elle emploie il faut qu'elle ait de grands égards pour le teint, & elle doit proportionner son ouvrage aux différentes dimensions du visage, qu'on lui donne à orner; s'il s'agit d'accompagner des joues larges, & boursoufflées, elle doit avancer la coiffure autant que la bienséance de la mode le peut permettre, que l'ombre de la dentelle éclipse une partie de cette largeur, qui donne au visage un air mâle; un petit visage ovale veut être coiffé en arrière, pour qu'il paraisse dans toute son étendue, & il faut que les différents âges soient distingués par des coiffures, qui ont une certaine liaison avec elles; il faut que la Mère ait l'air plus posé que la Fille, & qu'une Femme surannée ne s'attire point un ridicule inévitable par les ornements brillants de la Jeunesse; chaque âge a, pour ainsi dire, sa beauté particulière; & la coiffure ne doit servir qu'à accompagner ces différentes sortes de Beauté, de la manière, qui leur est la plus convenable; la Coiffeuse est à un beau génie en matière d'ajustement, ce qu'est à un habile Poète l'étude des Moeurs & des Caractères.
Le matin, Dame de Qualité à sa Toilette, Artiste anonyme Fin 17ième siècle Source: Musée Carnavalet, Paris |
La couturière doit s'entendre en Anatomie, & il est bon qu'elle ait un nom Français; on ne saurait s'imaginer le bon goût, que cette dernière particularité répand sur un Habit; il faut qu'elle sache cacher judicieusement toutes les défectuosités d'un corps, & qu'elle ait l'art de ménager si bien les baleines, qu'elle rende, en dépit de la Nature la plus indocile, la taille fine & droite; il faut qu'elle prenne bien garde de ne pas ruiner le corps en l'embellissant, & de ne point lui donner un air aisé, en resserrant trop les intestins, & en ôtant à l'estomac la liberté de faire ses fonctions. La Couturière est à un beau génie en matière de parure, ce qu'est à un bon Poète, le ménagement délicat de l'expression, qui n'expose les sujets que de leur côté avantageux.
Boutique de marchande de mode Artiste inconnu 1750 Source: Collection particulière |
La Fille de Chambre doit avoir toutes les qualités d'un savant critique en matière de Poésie; sa parure semblable à l'érudition de ces Messieurs, ne doit être que de la seconde main. Il faut qu'elle ait un grand talent pour la censure, & que sa langue soit faite à avilir les meilleures choses. Pour donner de la nourriture à l'orgueil, & à la médisance de sa Maîtresse, il faut qu'elle sache répandre du ridicule sur l'air & sur l'ajustement des Femmes les mieux faites, & envelopper même leur vertus dans leur habillements. On a remarqué, que Messieurs les Critiques ne manquent jamais de faire les Chiens couchants devant leur Patron, & qu'ils font tous leurs efforts pour élever sa réputation sur la ruine des autres; tel doit être le caractère d'une Femme de Chambre; en augmentant sa vanité, & donner de la majesté à sa démarche, en lui inspirant du mépris pour le reste du Genre-Humain; elle ne doit point oublier surtout, de lui donner des adorateurs, des manières hautaines, & dédaigneuse, en lui prêtant un grand nombre de Conquêtes chimérique. Comme il faut qu'un Critique se charge la mémoire des noms de tous les Auteurs, il faut que la Suivante sache par coeur les noms de tous les petits Maîtres, & de tous les jolis hommes de la Ville; semblable en tout au Critique en matière des Belles Lettres, elle doit soutenir que dans toutes les Sciences la Théorie est préférable à la Pratique, & qu'on peut décider parfaitement bien de la parure des autres, sans qu'on ait le moindre talent de se mettre bien soi-même. Outre toutes ces qualités, il faudrait qu'elle fut secrète, & qu'elle eut la force de ne point trahir sa Maîtresse, & de ne point publier sous mains les défauts, qu'elle lui trouve; ce don est un peu rare, & il vaudrait autant exiger d'un Critique de ne pas faire confidence à ses Collègues des fautes qu'il trouve réellement dans les productions de son Mécénat, quoi qu'il paraisse les admirer de la meilleure foi du monde. La Fille de Chambre est à une personne, qui se pique de se mettre de bon air, ce qu'est à un Poète un bon Connaisseur de ses Amis.
La toilette École de Nicolas Lancret 18ième siècle Source: Collection Privée, Artnet |
J'ose espérer que ce que je viens d'avancer ici persuadera à Mes Lecteurs qu'il faut absolument du génie pour savoir donner un bon air à ses habits, comme il en faut dans toutes les Sciences, & surtout dans la Poésie, excepté seulement l'Épopée, qui ne dépend, comme je l'ai montré avec la dernière évidence que d'un Mécanisme. ''
Voilà la fin de ce discours sur l'apparence et comparant l'art de s'habiller à l'art de la poésie. Je trouve ce discours éducatif sur la manière dont la mode était perçue à la fois comme futile et à la fois comme essentielle pour maintenir son rang. Il parle de l'importance de s'habiller en conséquence de la saison, du lieu et de l'action prévue. En d'autres mots, on ne s'habille pas de la même manière pour aller patiner sur un lac que pour aller danser un soir d'été dans les jardins. Plusieurs aspects se rapportant à la mode sont soulignés, qu'elle est changeante tout autant que son vocabulaire, que les fillettes s'initient à cet art avec leurs poupées, que la danse est utile pour souligner ses charmes naturels, qu'il faut s'habiller selon son âge propre, que les perruques sont des outils de parures...
Pour les courageux qui ont pris le temps de lire cet article au complet, merci!
Mlle Canadienne